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affaires du clergé, et fut nommé principal de l’université d’Édimbourg, charge qu’il garda, je crois, vingt ans. Son administration laissa de longs souvenirs, et il présida en quelque sorte au grand mouvement philosophique et littéraire dont il nous reste à tracer l’esquisse.

C’est surtout pour l’esprit que la vie est un combat. Les leçons de Hutcheson n’auraient point suffi pour animer le génie des écoles universitaires, si un écrivain plus original, qui ne s’était pas développé dans leur sein, qui vainement même essaya de s’y faire admettre, n’avait presque en même temps produit des doctrines singulières propres à provoquer une contradiction féconde. David Hume fit paraître en 1739 son Traité de la nature humaine. Rarement le scepticisme rencontra un interprète plus spécieux et plus puissant. Jamais le système d’une métaphysique négative ne fut soutenu par les artifices d’une dialectique plus ingénieuse. On aurait peine à désigner le maître de Hume ; quoiqu’on puisse apercevoir le germe de son argumentation dans les principes de Hobbes, dans certaines opinions de Locke et dans quelques raisonnemens de Berkeley, son originalité ne peut être méconnue. Il se disait lui-même cependant de la famille des philosophes français, et par ses goûts, ses convictions, ses conclusions, il se distingue peu des penseurs suspects qui forment aux yeux de la postérité le cortège de Voltaire ; mais il brille par une sagacité particulière, par l’esprit d’observation dans les détails et le talent d’une argumentation froide et fine qui embarrasse, si elle ne persuade. C’est assurément un des philosophes qui ont le plus fait pour la philosophie, en suscitant, sans le vouloir et par voie de contradiction, Reid et Kant. Cependant à ce mérite il faut joindre celui d’avoir été lui-même. Personne en Écosse ne lui avait donné l’exemple de ce scepticisme raisonneur qui trouve dans l’esprit de l’homme pour toutes lois des habitudes qui pourraient être des illusions. Rien plus qu’un tel système ne devait froisser la philosophie un peu sentimentale de Hutcheson ; rien aussi, moins que cette philosophie un peu sentimentale, n’était propre à le réfuter par la logique et l’expérience. J’en dis autant de la doctrine à laquelle Hutcheson en mourant abandonna sa chaire (1747). Un homme de génie à qui est échu l’heureux privilège de créer presqu’à lui seul une science nouvelle, Adam Smith, alors âgé de vingt-cinq ans, commençait à enseigner les belles-lettres à Édimbourg, quand la succession de Hutcheson lui fut offerte. Quoique né en Écosse et ayant fait ses premières études à Glasgow, il les avait terminées à Oxford, et de bonne heure l’indépendance de ses idées avait alarmé l’orthodoxie ombrageuse de ses maîtres. Lié intimement avec Hume, il avait adhéré avec une volonté réfléchie au credo philosophique du siècle, et par aucune action de sa vie, par aucune ligne de ses ouvrages, il ne s’est écarté