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la renaissance, ni l’érudition ni l’histoire n’avaient été négligées ; mais on ne soupçonnait pas que les faits dont se nourrit l’une et l’autre pussent reprendre par l’imagination la couleur et la vie, et devenir le fond d’une nouvelle espèce de fiction. Les croisades elles-mêmes, dans le poème admirable qu’elles avaient inspiré à l’Italie, avaient été changées en une sorte de conte oriental, et personne ne concevait les chevaliers du moyen âge sous les traits de grandeur naïve, de bonhomie héroïque que les chroniques leur attribuent. L’Écosse, toute remplie de traditions populaires, l’Écosse, où tous les sites rappellent au passant un événement connu, était le pays le plus favorable à l’éveil de cette faculté puissante qui relève les ruines et ranime les tombeaux. Ainsi Walter Scott, après avoir tout vu, tout recueilli avec l’intelligente curiosité de l’archéologue, sentit naître en lui le talent de peindre à la suite du talent d’observer, et l’Écosse charmée crut entendre les chants de son dernier ménestrel. On sait comment une fois sur cette voie, guidé par Shakspeare dans ses tragédies historiques, par Goethe dans Goetz de Berlichingen, il conçut le genre mixte où il excella, et devint pour l’Europe entière le type d’une classe nouvelle d’écrivains, ceux qui par la description, le récit et le dialogue, rendent la puissance de l’illusion dramatique aux chroniques nationales. Ni Blair, ni Johnson n’avaient prévu Scott, et l’on sent en le lisant que l’écrivain a vécu en plein air et battu lui-même d’un pied rustique le sol humide et verdoyant de sa romantique patrie.

Les clubs littéraires ont été de tout temps à la mode en Écosse. On cite la Société choisie (Select Society), fondée à Édimbourg en 1754, où Robertson, entouré de Hume, de Smith, de Kames, de Wedderburn le futur chancelier, forma ce talent de la parole qui le signalait dans les assemblées ecclésiastiques. Il existait dès-lors un club universitaire, Rankenian Club, qui avait entretenu une correspondance avec Berkeley et qui professait ses doctrines ; singulier lien pour une association que la négation en commun de l’existence des corps ! En 1764, une autre institution se forma sous le nom de Société spéculative, et, quoique désormais moins brillante par sa composition, elle subsiste encore aujourd’hui. Comme presque toutes les associations de ce genre dépendaient des institutions enseignantes, celle-ci était annexée au collège de l’université. À l’époque qui nous occupe, il n’y a guère plus de cinquante ans, on y voyait, auprès de Scott, dont la gloire était toute dans l’avenir, lord Lansdowne, épris pour les choses littéraires de ce goût élevé qui fait encore le charme de son noble esprit ; lord Kinnaird, qui fut lié avec Byron, et dont Benjamin Constant admirait la conversation ; Charles Grant, aujourd’hui lord Glenelg, un de ces politiques éclairés qui ont marché avec Canning et honorablement siégé dans les cabinets réfor-