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sans épreuves, sans profession de foi, quiconque avait été baptisé ; mais les magistrats réprimèrent heureusement cette nouvelle tentative. En 1655, voici bien une autre affaire ! Deux femmes quakeresses arrivèrent des Barbades. Ce n’étaient plus la seulement des antinomiens, des anabaptistes, des familistes, des chercheurs ; ce n’était plus la bande de Roger Williams et des protégés d’Henri Vane, c’était « l’instrument efficace qui manquait encore pour étendre partout le royaume de Satan ! » Ces deux femmes furent arrêtées comme sorcières ; mais comme on ne trouva pas sur leur corps la marque du diable, on se contenta de les chasser du territoire. « Pour la sûreté du troupeau, disait Norton, nous traquons le loup, mais une porte est laissée ouverte tout exprès pour qu’il puisse s’en aller à son aise. » Toutefois cette longanimité ne dura pas longtemps, et en 1658, afin d’empêcher les quakers d’y revenir, on décréta contre eux la peine de mort, pour le seul fait d’entrer dans les limites de la colonie. Après les quakers, ce fut le tour des libres penseurs ; mais ceux-ci étaient moins saisissables : ils n’élevaient point chaire contre chaire, ils proposaient sournoisement des doutes, et se contentaient parfois d’un sourire ; il fallait discuter contre ces serpens d’incrédulité. Dans cette discussion plus difficile, il vint un étrange auxiliaire au secours des ministres : ce fut le diable en personne. À cette époque, en effet, Satan, par l’intermédiaire des sorciers qu’il tient à son service, se démenait furieusement dans la colonie, et troublait les meilleures têtes du gouvernement. C’était une véritable épidémie de maléfices. Deux jeunes filles de Salem en furent les premières victimes. Élevées dans une des plus pieuses familles de cette ville, on les vit tout à coup « aboyer comme les chiens, miauler comme les chats, devenir tour à tour sourdes, aveugles, muettes, tordre leurs membres d’une manière extraordinaire, se plaindre qu’on les pinçait, qu’on les piquait, qu’on les tiraillait, qu’on les entaillait, » et une vieille femme fut exécutée pour avoir été l’agent diabolique de tout cela. Nombre de jeunes filles furent ainsi tourmentées, nombre de vieilles femmes furent accusées du grand crime. Le vice-gouverneur se rendit à Salem pour informer sur ces prodiges, qui bientôt se propagèrent à Boston et en beaucoup d’autres lieux ; des centaines de malheureux furent jetés dans les prisons ; en cherchant bien, on finit par trouver sur leur corps la marque du diable ; des commissions judiciaires furent établies ; les hommes les plus haut placés et les plus célèbres pour la science prirent part à cette grande affaire ; les ministres écrivirent des livres pleins de faits et de bonnes raisons. L’un d’eux, Increase Mather, décrivit tous les cas qu’il avait pu connaître, avec pièces justificatives ; son fils Cotton Mather, petit-fils du grand Cotton, jeune encore et déjà un prodige de science,