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interrogea les jeunes filles ensorcelées, recueillit de nombreux documens, et lança contre les libres-penseurs son livre intitulé : Mémorables Manifestations de la Providence relativement à la sorcellerie et aux possessions[1], avec une préface dans laquelle il prévenait les « sadducéens ) qu’à l’avenir, après des preuves si convaincantes, « il considérerait leurs doutes comme une insulte personnelle. » Il y allait résolument, ce jeune et brillant défenseur de la foi puritaine du Massachusetts ! « La sorcellerie, disait-il dans le sermon qui servait d’appendice à son livre, est un parti-pris pour l’enfer contre le ciel et la terre, et par conséquent une sorcière ne doit être supportée ni sur terre ni au ciel… C’est un crime capital, et il doit être poursuivi comme une sorte de religion du diable (a species of devilism). Rien de trop outrageux ne peut être dit, rien de trop dur ne peut être fait contre une si horrible iniquité que la sorcellerie ! » Et, chose curieuse comme progrès de la controverse ! pendant que la théologie tranchait ainsi la question, la philosophie y cherchait déjà des causes naturelles. Quand le sorcier touchait sa victime, disait-on, celle-ci cessait de souffrir, parce que l’attouchement renvoyait au sorcier et neutralisait en lui l’influence qu’il avait développée à distance par la fascination du regard. On parla même savamment à ce sujet, selon Hildreth, de Descartes, dont la philosophie avait eu quelque écho lointain dans ces parages. Nous ignorons ce qu’il pouvait y avoir de commun entre la philosophie de Descartes et l’influence magnétique ou diabolique des sorciers du Massachusetts.

Pendant que l’étroite et raide aristocratie calviniste défendait son privilège en mettant toujours la religion en avant comme rempart, il s’opérait pourtant en elle-même un travail purement politique, qui visait là une réforme, mais prudemment, et en se gardant bien de mettre la main sur les charbons ardens de l’hérésie. Dès le temps d’Henri Vane, des Anglais nobles et riches, ayant dessein de former des établissemens dans la colonie, proposèrent à l’assemblée de relâcher un peu la contexture trop serrée de leur république. Ils ne se souciaient pas de mettre à la merci des pères leurs personnes, leurs familles et leur fortune. Ils demandaient qu’on se rapprochât de la constitution anglaise, qu’on divisât la nation en deux ordres, des nobles héréditaires, siégeant de droit dans une chambre haute, et des francs-tenanciers, représentés tous par leurs députés dans une chambre basse. C’était attaquer la théocratie par les deux bouts : les uns, en effet, forts de l’hérédité, auraient pu braver les épreuves et la vigilance mutuelle des ministres ; les autres auraient été citoyens par le droit de leur tenure, qui les aurait également affranchis. Les

  1. « Mémorables Providences relating to witchcraft and possessions… »