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et à le décréter immuable. Un tel parti convenait également à l’homme d’état et au philosophe, le premier voulant un modèle existant et déjà en activité, le second ramenant ce modèle au contrat social primitif, et le fixant dans sa pureté. « Aucune voix de Dieu parlant à son âme, dit l’historien des États-Unis avec son accent biblique, n’avait pu retirer Locke des usages établis de l’Angleterre, et lorsqu’il voulut fonder un gouvernement civil dans le désert, il abaissa sa haute intelligence sous l’influence séductrice de Shaftesbury. » Idée bizarre ! ils tournaient en utopie un fait réel, et non-seulement ils voulaient détacher le système d’aristocratie anglaise de l’ensemble des circonstances qui le soutiennent et le balancent, mais encore ils croyaient pouvoir transporter sans aucun dérangement tout ce mécanisme féodal sur la rive opposée de l’Océan ! Sous prétexte de fonder la liberté propriétaire, ils établissaient la puissance seigneuriale, et à une population de travailleurs non conquis, dont ils avaient besoin bien plus que ceux-ci n’avaient besoin d’eux, ils imposaient des suzerains oisifs et dominateurs, pour la plus grande gloire de la théorie ! Voici en résumé les principaux traits de cette célèbre constitution, reçue avec enthousiasme en Angleterre et proclamée le grand modèle. Nous suivrons principalement l’excellente analyse que M. Laboulaye en a donnée dans son livre.

Ils divisaient la Caroline en comtés, et chaque comté en quarante subdivisions de douze mille acres chacune ; huit de ces subdivisions c’est-à-dire la cinquième partie de chaque comté, devaient appartenir aux huit propriétaires dont nous avons parlé plus haut, et à qui Charles II avait concédé tout le territoire. Ils devaient toujours rester huit, ni plus ni moins, et après le premier siècle expiré, toutes leurs prérogatives devenaient, avec la propriété même, inaliénables et substituées à tout jamais dans leurs familles. Ces huit grands domaines de chaque comté s’appelaient seigneuries, et ces seigneurs- propriétaires formaient le grand conseil héréditaire de l’empire} le plus âgé gouvernait l’état sous le nom de palatin ; un autre était l’amiral, un autre le chambellan, un autre le connétable, et ainsi de suite. Ils se partageaient l’administration de la guerre, de la marine, de la justice, de la police, et le reste. Ainsi ce grand conseil, chargé du pouvoir exécutif, représentait la royauté en huit personnes, contenant en elle-même les dignités de cour et les ministères, et possédant en propriété inaliénable non-seulement les hautes seigneuries de chaque comté, mais l’administration même.

Ensuite venait le second rang de la noblesse, formant la tête de chaque comté en particulier : un landgrave, qui avait quatre portions, c’est-à-dire quarante-huit mille acres, et deux caciques, qui