Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aristocratique avait la surveillance ou plutôt la direction (superintendence) de la presse ; un tribunal avait dans sa compétence les amusemens des enfans et la toilette des femmes ; un autre connaissait des cérémonies et des généalogies, des modes et des divertissemens[1]. L’exercice du pouvoir législatif était entouré des mêmes défiances et de semblables précautions. Chacun des huit seigneurs propriétaires, comme chef d’une branche de l’administration, était assisté d’une cour de six conseillers à vie, dont quatre au moins étaient nobles. Le grand conseil qu’ils formaient tous ensemble était une espèce de sénat qui préparait les lois et les proposait au parlement, composé de quatre états, lords propriétaires, landgraves, caciques et communes ; ces dernières n’avaient que quatre représentans par comté ; pour être éligible, il fallait avoir cinq cents acres ; pour être électeur, cinquante. Les quatre états votaient ensemble dans une seule assemblée, où la majorité était ainsi assurée d’avance aux seigneurs ; ils avaient d’ailleurs seuls l’initiative, et, de peur qu’il ne se glissât à leur insu dans la législation quelque article contraire à leurs intérêts, toute loi devenait nulle au bout de deux ans, si elle n’était ratifiée dans cet intervalle par les palatins et les seigneurs, qui pouvaient ainsi la mettre à l’essai ; même ratifiée, elle perdait son effet au bout d’un siècle, afin de ramener souvent le gouvernement à son principe, selon le précepte de Machiavel, et parce que, disait Locke, « la multiplicité des lois finit toujours par changer les fondations du gouvernement originaire. » De plus chacun des quatre états avait son droit de veto. Ainsi, pour se mettre dans l’impossibilité d’obéir à cette voix qui crie au genre humain : Marche ! marche ! nos constituans avaient encombré d’obstacles leur propre chemin. Les seigneurs et barons, propriétaires incommutables d’immenses domaines, l’étaient encore de l’administration de la justice, et indirectement de la législation. Tout était ingénieusement calculé pour supprimer le mouvement, et cette momie garrottée pour un silence éternel, ils l’appelaient la constitution de la Caroline.

Tel fut « le premier et le seul essai qui fut sérieusement poursuivi en Amérique pour rattacher le pouvoir politique à la richesse héréditaire. » Le vice de cet essai n’était pas cependant d’avoir cherché dans la propriété des garanties, ni d’en avoir fait une condition de certains droits, c’était d’en avoir fait la base absolue de l’état et un principe de division systématique par races ; c’était d’avoir, sans aucune intelligence de l’histoire, pris dans le passé l’élément le plus éteint et le plus mort pour en faire le principe de vie de l’avenir ; c’était enfin d’avoir voulu concilier la vie avec l’immobilité. Nous ne

  1. Ceremonies and pedigrees, fashions and sports, — Bancroft, t. II, p. 148.