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des traits, mais par des teintes, des masses de tons franchement clairs ou veloutés se déposeront sur la glace ou sur le papier plus aisément que des tailles subtiles, parce qu’il existe en pareil cas une sorte d’analogie entre le procédé photographique et le procédé même de la gravure. La publication de l’Œuvre de Rembrandt nous semble un fait beaucoup plus propre à démentir qu’à confirmer cette opinion. Ici encore nous reconnaîtrons volontiers ce qu’il peut y avoir d’utile à présenter dans leur ensemble les créations successives du génie, à montrer réunis des chefs-d’œuvre d’invention et de sentiment disséminés dans les cabinets ou dans les galeries ; mais il faut avouer aussi qu’au point de vue de l’art et de l’habileté technique, ces chefs-d’œuvre n’apparaissent qu’étrangement défigurés. L’imperfection principale des photographies du Rembrandt consiste dans le défaut de transparence des ombres. De là une âpreté d’effet directement contraire à l’effet harmonieux qu’a su trouver la main du maître. Dans les pièces originales, les parties obscures sont, malgré l’intensité du ton, pénétrables à l’œil pour ainsi dire. On y entrevoit des reflets, de chaudes lueurs assoupies ; on sent que ces corps voilés d’ombre ont leur relief propre, leur modelé, leur consistance, et que si un rayon venait à les éclairer, ils se comporteraient comme les corps voisins placés en pleine lumière. Dans les reproductions au contraire, l’ombre cesse d’être un voile ; elle étreint la forme et l’absorbe. Tout ce qui n’était que mystérieux devient épais ou vide, toute énergie de ton se convertit en noir boueux ou dur. Quelle fausse idée, par exemple, ne se formerait-on pas de l’un des plus beaux ouvrages de Rembrandt, — le portrait en pied du Bourgmestre Six, — si l’on se fiait à la triste contrefaçon que la photographie nous en donne ? Deux autres estampes, véritables merveilles d’exécution, — le Christ guérissant les malades et le paysage dit aux Trois Arbres, — ont subi une transformation qui les rend presque aussi méconnaissables. Qu’est devenue dans la première de ces pièces la merveilleuse souplesse du coloris ? Toute la partie à la droite du spectateur, si transparente malgré sa vigueur, si riche en fines transitions, est ici lourde et violente : lourde, parce que les ombres sont traduites par des noirs opaques ; violente, parce qu’à côté de ces noirs absolus, les morceaux à demi éclairés se dessinent brutalement clairs. Dans le Paysage aux Trois Arbres, le ton des nuages d’où s’échappe la pluie a une intensité égale à celle des ombres qui s’étendent sur les terrains et sur les eaux. Les formes des premiers plans ont disparu sous une couche noire si invariablement épaisse, qu’il est au moins difficile de soupçonner l’existence des figures que Rembrandt a mêlées aux détails de la végétation.

On ne finirait pas, s’il fallait relever dans les copies tout ce qui