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les hommes d’état de la Grande-Bretagne et que le libre-échange est sorti tout armé du cerveau de sir Robert Peel. Pour bien comprendre les modifications qui ont eu lieu de 1842 à 1846 et qui se continuent encore aujourd’hui, il convient de recourir à une histoire écrite à un point de vue moins exclusif et dans une intention moins doctrinale. Ce travail, très difficile et très complexe, a été récemment entrepris par M. H. Richelot[1], et, grâce à l’abondance des faits et à l’impartialité des appréciations, il permet de saisir jusque dans les moindres détails toutes les phases de l’évolution par laquelle la Grande-Bretagne est passée, — non pas brusquement, comme on se plaît à le dire, non point par amour d’un principe, mais lentement, avec méthode et par la seule impulsion de son intérêt, — du régime prohibitif au régime du libre-échange. Je n’aurai garde, après l’excellente démonstration que l’on doit à M. Richelot, de reprendre les argumens de cette thèse, qui s’appuie sur des faits précis, sur des dates, sur des témoignages historiques et parlementaires dont l’autorité ne saurait être contestée. Il me suffira de retracer très brièvement les principaux incidens du passé pour arriver à l’examen de la législation actuelle de la Grande-Bretagne en matière commerciale.

Que l’Angleterre ait usé et abusé de toutes les formes et de tous les procédés du régime de protection, que son tarif ait été pendant plusieurs siècles rempli de prohibitions à l’entrée comme à la sortie, que sa marine marchande ait profité plus longtemps encore de tous les privilèges que la législation la plus vigilante et la plus féconde en expédions puisse imaginer, — ce sont là des faits que l’histoire atteste et qu’il n’est point nécessaire de démontrer. À quelle époque les hommes d’état de ce pays songèrent-ils à modifier le système à l’aide duquel l’industrie et la marine britannique s’étaient élevées si haut ? Les idées de réforme prirent-elles naissance le jour même où, la supériorité maritime et industrielle étant acquise, la protection cessait d’être indispensable et pouvait devenir nuisible ? — Non sans doute : en 1815, le pavillon anglais était maître des mers, et dès cette même époque les fabriques anglaises n’avaient à redouter aucune concurrence. Cependant il fallut attendre plusieurs années encore pour que les propositions libérales, émises par les économistes et soutenues par un petit nombre seulement d’hommes pratiques, obtinssent L’accès du parlement ; il fallut qu’un grand ministre, Huskisson, se livrât aux efforts les plus vigoureux pour arracher, de 1822 à 1826, à force d’enquêtes et de démonstrations, et malgré une résistance acharnée, les premières réformes. Dans les discussions qui passionnèrent alors la chambre des communes, Huskisson se défendait vivement de prêcher, comme on l’en accusait, la liberté illimitée du commerce et de vouloir sacrifier l’industrie nationale à la concurrence étrangère. Il déclarait hautement que s’il demandait soit la levée d’une prohibition, soit l’abaissement d’un droit de douane, il ne s’y était déterminé qu’après avoir acquis la parfaite conviction que les industries ne couraient aucun risque, et qu’elles demeureraient, comme parle passé, en possession du marché intérieur. Huskisson

  1. Histoire de la réforme commerciale en Angleterre, par M. Henri Richelot ; 2 vol. in-8o, chez Capelle.