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et des besoins de la consommation ; mais l’intérêt de la production n’est en aucune manière sacrifié, puisque le fabricant, assuré de vendre tout ce qu’il peut produire, retire de ses capitaux et de son travail un bénéfice supérieur à celui que la législation douanière avait pour but de lui réserver. La protection n’était plus utile pour certaines catégories de produits : on l’a supprimée ; mais en même temps elle a été maintenue avec soin pour d’autres produits manufacturiers qui ne se trouvent pas dans des conditions identiques. Il est vrai que les maîtres de forges, les propriétaires de mines de houille, les fabricans de sucre, etc., ne se font pas faute d’exprimer leurs doléances contre les dispositions libérales que semblent trahir les récentes mesures. Quand une industrie voit ses profits s’accroître par l’effet d’un tarif, ce n’est pas à elle qu’il faut demander la permission de réduire les droits et de les ramener au taux convenable. Le maître de forges aimerait bien mieux qu’on le laissât en possession de la prime que lui procure la hausse du fer. Cet amour extrême de la protection n’a rien qui doive surprendre ; la nature humaine est ainsi faite. Pourvu que les autorités législatives sachent intervenir au moment opportun et imposer silence aux prétentions exagérées, pourvu qu’elles ne se laissent pas émouvoir par de menteuses doléances ou intimider par d’absurdes menaces (ainsi que cela s’est vu plus d’une fois), l’intérêt public est sauvegardé, et la législation poursuit régulièrement, sans brusque secousse, sans péril ni perte pour qui que ce soit, et au contraire avec bénéfice pour tout le monde, son évolution vers la liberté commerciale, qui n’est autre chose, dans la pensée des défenseurs raisonnables du tarif, que le but et la récompense de la protection.

Encore est-il juste de dire que jusqu’ici les industriels expriment plutôt des appréhensions pour l’avenir que des plaintes au sujet de leur condition présente. Ils acceptent en général les réformes accomplies, ils reconnaissent que celles-ci sont après tout presque inoffensives, quelques-uns même (et ce symptôme est très significatif) déclarent loyalement qu’ils pourraient être beaucoup moins protégés ; mais ils craignent qu’on ne soit entraîné trop loin dans ces nouvelles voies, et que l’on n’en vienne à attaquer le principe. L’attitude prise par les partisans du libre-échange n’est point faite d’ailleurs pour les rassurer. À peine une atténuation de taxe est-elle décrétée, qu’ils s’en emparent comme d’un gage et l’inscrivent à leur actif comme une concession faite à la doctrine. La mesure, il est vrai, n’est point complète ; on aurait dû s’y prendre avec plus de hardiesse, mais enfin, disent-ils, il est consolant de découvrir que l’administration, jusqu’à ce jour si aveugle, si routinière, commence à voir clair dans les affaires commerciales et à n’être plus entièrement dépourvue du bon sens économique. Il n’est pas nécessaire de rappeler que l’administration, en abaissant tel ou tel tarif, n’a point eu un seul instant l’idée de rendre les armes aux libres échangistes et qu’elle a simplement entendu restreindre dans les justes limites l’application du système protecteur, qui est et demeure sa règle. Néanmoins les économistes célèbrent avec tant d’éclat leur prétendue victoire, ils triomphent si haut des monopoles et des monopoleurs, que l’industrie ne peut se défendre d’un sentiment de crainte, et que tous les intérêts protégés serrent les rangs, organisant une résistance désespérée comme si Annibal était