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raîtra peut-être dans toute son importance qu’après la conclusion de la paix : c’est celle qui est née de l’affaire des séquestres. À la veille de l’ouverture des conférences, l’Autriche semblait entrer dans la voie de la conciliation en annonçant qu’elle venait de lever le séquestre mis sur les biens des Lombards émigrés ou naturalisés dans d’autres pays. Il y avait, il est vrai, des conditions et des restrictions ; c’était néanmoins le commencement d’une politique qui tendait à s’adoucir. Or voici que déjà on en est à se demander quelle est la portée réelle de cette mesure. L’acte lui-même dans son texte reste enveloppé d’un certain mystère. Les émigrés intéressés dans leur fortune s’adressent vainement aux légations autrichiennes, qui ne se trouvent pas, à ce qu’il parait, suffisamment autorisées à communiquer les décrets impériaux. Sur ce point, on en est réduit aux indications que le cabinet de Vienne a laissé échapper par la voie complaisante des journaux allemands. Bien mieux, en ce qui touche les émigrés devenus sujets sardes, l’acte récent de l’Autriche aurait, au premier aspect, des conséquences singulières. Ces émigrés en effet, pour recouvrer leur fortune, devraient ou rentrer dans leur pays, ou vendre tout ce qu’ils possèdent en Lombardie. S’ils n’ont point adressé une demande dans ce sens aux autorités impériales avant la fin de l’année actuelle, le gouvernement ferait passer leurs biens aux héritiers désignés par la loi, c’est-à-dire en d’autres termes qu’ils seraient considérés comme morts civilement. Le séquestre ne dépossédait pas absolument les émigrés de leurs biens : c’était une mesure arbitraire, on ne le cachait pas, mais pour laquelle on pouvait invoquer des nécessités temporaires, et qui réservait l’avenir. La prétendue amnistie dont on gratifie les émigrés les dépouille complètement de leurs propriétés. Telle est la conséquence de cette périlleuse politique.

On n’a point oublié dans quelles circonstances fut adoptée cette mesure malheureuse. C’était au lendemain de l’échauffourée qui eut lieu à Milan le 6 février 1853. Or comment admettre sérieusement que des hommes comme le comte Borromeo, le comte Arese eussent une part quelconque dans une tentative d’insurrection fomentée par M. Mazzini ? Le Piémont n’avait aucun titre pour intervenir en faveur des émigrés restés sujets autrichiens, mais il avait au moins la mission de défendre les intérêts des émigrés devenus Piémontais. Il protesta ; il y a trois ans qu’il a protesté, et il proteste encore. Qu’on examine de près cette situation étrange, que la dernière amnistie autrichienne n’a nullement changée. C’est avec l’autorisation impériale que les Lombards émigrèrent en 1848 ; c’est en quelque sorte sous la sanction de l’Autriche que leur naturalisation dans le royaume sarde a eu lieu. Maintenant, cette naturalisation une fois établie et incontestée, la conséquence est claire. L’Autriche et le Piémont ont garanti par des traités à leurs sujets respectifs le droit de propriété dans chacun des deux pays. Des Piémontais possèdent en Lombardie de même que des Lombards possèdent en Piémont, principalement dans la province de Novare. Les propriétés de ceux-ci ne s’élèvent pas à moins de deux cents millions ; l’archevêché de Milan notamment est propriétaire sur le sol sarde. Si l’Autriche a le droit de séquestrer les biens appartenant à des sujets sardes en Lombardie, que pourrait-on opposer sérieusement au Piémont, si après trois ans de réclamations inutiles il mettait à son tour le séquestre sur les propriétés des Lombards situées dans