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quoique puissant, quoique populaire, il était modeste ; il fut nommé à l’unanimité membre de l’Académie française pour y représenter une gloire nouvelle des lettres en France, l’éloquence politique, que les événemens semblaient rendre à la France dans les remontrances des parlemens, qu’on prenait pour des harangues dignes, disait-on, de Démosthènes et de Cicéron. Personne ne s’y trompait moins que M. de Malesherbes, et il écrivait le 22 novembre 1790 à M. Boissy d’Anglas une lettre noble et judicieuse, où il appréciait avec une admirable modestie les éloges qu’il avait reçus sur son éloquence politique. « Dans le temps, dit-il, que la magistrature était l’idole de la nation, on m’a donné, ainsi qu’à plusieurs de mes confrères, des éloges dont je n’ai jamais été engoué, parce que je les trouvais exagérés. On exaltait nos talens, on m’a couronné moi-même de la palme académique, au retour de notre exil, avec une sorte d’acclamation. J’ai toujours pensé et toujours dit que nos talens, qui brillaient beaucoup sur notre théâtre, où nous étions les seuls, se trouveraient très inférieurs à bien d’autres, quand nous aurions pour concurrens tous les citoyens qui seraient admis comme nous à plaider la cause du peuple. On exaltait le courage avec lequel nous nous exposions à des actes de despotisme… À présent je dirai que ceux dont le devoir est de dire hautement la vérité avaient besoin de beaucoup moins de courage pour braver les lettres de cachet qu’il n’en faut aujourd’hui pour s’exposer aux assassinats et aux incendies. — Je déclare donc que je renonce sans regrets aux éloges excessifs dont on nous a comblés. Je me restreins à ce que je crois qui m’est dû. Si j’ai quelques droits à l’estime publique, c’est pour avoir été le défenseur des droits du peuple dans un temps où ce rôle ne conduisait pas, comme à présent, à devenir une des puissances de l’état ; c’est pour avoir combattu le plus fortement que je l’ai pu le despotisme ministériel, lorsque, par ma position, je pouvais aspirer aux faveurs du roi promises par les ministres[1]. »

On voit que dans cette lettre la modestie de Malesherbes est accompagnée d’une juste fierté. Tout en lui est tempéré ainsi et relevé admirablement, la modestie par la fierté, la gaieté par la fermeté, l’amour de la liberté par le dévouement au roi ; il est grand par l’équilibre des qualités de son âme.


III

J’ai voulu montrer un instant l’ami et le correspondant de Rousseau avant d’étudier ces quatre lettres à M. de Malesherbes, qui sont

  1. Boissy d’Anglas, t. II, p. 213, etc.