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plus étroitement ses fers, la France, elle aussi, se réveillera ; elle voudra redevenir ce qu’elle était au commencement de la révolution, une monarchie constitutionnelle, et elle témoignera d’une reconnaissance infinie envers le noble héros né, élevé dans son sein, au bras duquel elle sera redevable de son entière délivrance. »

Au lendemain de la grande journée de Leipzig, Alexandre revint encore sur ce sujet : « Il nous est permis à présent, dit-il, de tout espérer. Napoléon ne peut pas rester sur le trône. La France, fatiguée de la guerre et du despotisme, soupire après un changement. De nouveaux triomphes lui seraient indifférens, parce qu’ils ne feraient qu’augmenter ses malheurs en affermissant le trône de son oppresseur. L’opinion de l’armée n’est plus pour Napoléon ; ses généraux, comblés de richesses et de palais, veulent jouir et désirent le repos. Encore un pas, et nous pénétrerons au fond de l’antre où le tigre rugit, et nous lui donnerons le coup de la mort… Alors, mais alors seulement, nous aurons mis les Français en état de se donner une constitution raisonnable… Vous vous rappelez, continua-t-il d’une voix mielleuse et en prenant la main de Bernadotte, ce que je vous ai dit à Abo. Vous savez à quelle éclatante mission je souhaite de vous voir appelé… Pour peu que la fortune nous soit en aide, nos pressentimens s’accompliront. La France vous devra sa liberté, elle vous devra la paix… Vous seriez le médiateur entre l’Europe et la France renouvelée. Qui sait jusqu’où une heureuse étoile peut conduire !… » Le tsar termina en répétant qu’à son avis l’empereur devait cesser de régner. Quant au roi de Rome, il déclarait tout simplement que la France avait été abusée sur sa naissance. Rendons justice à Bernadotte ; s’il ne répondit pas aux premières paroles du tsar, du moins il releva vivement la dernière : « Pour cet enfant, sire, il est bien le fils de Napoléon ! » Il ajouta «… aussi sûrement que votre majesté est celui du tsar Paul. »

Ainsi caressé et flatté, Bernadotte s’est-il laissé prendre au gâteau moscovite ? A-t-il sérieusement espéré qu’un jour la couronne de France pourrait tomber sur sa tête, ou bien a-t-il rejeté résolument cette ambitieuse perspective ? Après l’examen d’un grand nombre de dépêches et de mémoires confidentiels, nous croyons qu’il fut assez fin pour n’y point mordre et assez hardi pour ne point renverser à l’avance de telles chances d’avenir dans un temps où l’imprévu ne surprenait pas et où l’incroyable s’était bien souvent réalisé. Un lieutenant l’avait fait roi de Suède, un empereur de Russie pouvait bien le faire roi de France !

Après la journée de Gross-Beeren, comme Bernadotte s’entretenait avec quelques officiers français devenus prisonniers, un d’eux émit la pensée que Napoléon ne pouvait pas se soutenir en France.