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trouvée remarquablement amoindrie, et qu’on a même essayé jusque dans ces derniers temps de ravir à la Suède une partie de ce qui avait été si péniblement gagné. C’est ainsi que l’alliance de la Russie en 1812 est devenue pour la Suède plus funeste que son inimitié. Celle-ci eût rattaché la Suède à la France, et lui eût rendu la Finlande. Celle-là n’a pas cessé d’abreuver Bernadotte de dégoûts ; elle a valu en définitive à la Suède la consécration d’une mutilation cruelle, la perte de la Poméranie et l’annexion d’un royaume dont le voisinage et le contact n’ont été pour elle jusqu’à présent qu’une source d’inquiétudes et de complications intérieures.


II

Il était difficile, on doit le reconnaître, que l’alliance fût réellement sincère entre Bernadotte et les souverains alliés, entre les représentans de l’absolutisme contre les maximes de la révolution française et l’ancien républicain, enfant de cette révolution. Ces maximes, dont les plus sociales, c’est-à-dire les plus puissantes, faisaient à la suite de Napoléon, suivant la belle expression de M. Thiers, autant de chemin que sa gloire, elles inspiraient aussi après tout Bernadotte, elles étaient devenues sa croyance intime et comme une partie de sa conscience. Ceux qui les combattaient pouvaient-ils croire aisément qu’il les eût oubliées, ou bien qu’il dût rester complètement sourd à leur souvenir ? Lui-même ne devait-il pas se sentir mal à l’aise et tenu en défiance au milieu des soutiens de la légitimité monarchique, lui, proclamé prince royal de Suède à la suite d’une révolution, et après que l’héritier naturel d’une des plus anciennes couronnes de l’Europe avait été dépouillé de son droit et réduit à l’exil ? Quel sort lui préparaient les événemens futurs de la guerre européenne ? Si Napoléon était vainqueur avant que Bernadotte n’eût pressenti cette victoire et ne fût redevenu son lieutenant dans le Nord, la nouvelle dynastie suédoise serait étouffée dans son berceau Si les alliés, demi-vaincus, signaient une paix équivoque avant que Bernadotte eût rendu à la coalition des services bien constatés, il y avait grand péril qu’un lâche abandon des confédérés laissât place au châtiment de l’empereur. Incontestablement, quelles que dussent être les chances de l’avenir, si peu certaines encore pour qui connaissait les ressources du génie de Napoléon, le plus sûr dans la position de Bernadotte était de s’assurer le plus promptement possible une des récompenses promises sans compromettre les autres. Aussi Bernadotte était-il fort pressé de s’emparer de la Norvège.

Mais l’expédition des Français en Russie l’avait obligé, immédiatement après l’entrevue d’Abo, de porter ailleurs son attention et