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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/745

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quand il s’est agi de former la présente coalition ? Ce n’est pas elle qui, par son courage, a excité les nations endormies à revendiquer leur indépendance ? N’ai-je pas enseigné à l’empereur Alexandre par quels moyens il triompherait de Napoléon ? N’ai-je pas sauvé votre capitale en sacrifiant le corps auxiliaire qui était destiné à marcher avec moi en Seeland ? N’ai-je pas été le lien commun qui a réuni la Russie et l’Angleterre ? N’ai-je pas ménagé votre paix avec la Turquie, tenu les forces danoises en échec, et retenu malgré elle dans le nord de l’Allemagne toute une armée française ? N’ai-je pas enfin sacrifié déjà dans l’intérêt de votre maître et de la cause commune cette condition bien expresse de nos traités, que la Norvège me serait acquise avant mon passage en Allemagne ? Vous comptez tout cela pour rien ? » Bernadotte n’avait que trop raison. Oui, il avait été le sauveur de la Russie en lui laissant, à la fin de 1812, lors de l’expédition française, l’emploi des trente-cinq mille auxiliaires qui devaient le suivre en Norvège. Cette habile manœuvre et la paix ménagée entre la Turquie et les Russes, ajoutez-y le conseil d’appeler l’hiver à son secours et de ne pas conclure de paix « tant qu’un soldat français souillerait vivant le sol de l’empire, » — de tels services avaient certainement sauvé Alexandre et causé nos désastres. Il pouvait bien croire qu’il avait acquis le droit d’exiger qu’on remplît les promesses des traités à son égard ; mais la défiance était mutuelle entre les alliés. Alexandre était bien déterminé à ne payer sa dette qu’après avoir largement exploité le contrat, et nous verrons combien, après l’avoir retardée, il réduisit la récompense. Tout ce que put obtenir Pozzo di Borgo, après une seconde entrevue, qui eut lieu à Stralsund, et dans laquelle Bernadotte s’emporta jusqu’à rappeler les bruits qui, lors de la mort de Paul Ier, avaient couru à la honte d’Alexandre, ce fut que le prince royal, exigeant toujours la prompte réunion des contingens prussien et russe, marcherait vers l’Elbe, si le Danemark voulait dès à présent céder en Norvège l’évêché de Throndhiem, sauf à ne se dessaisir du reste du pays qu’après qu’il aurait en main une indemnité convenable. Aussi l’envoyé russe rapporta-t-il vers Alexandre de nouveaux motifs de défiance contre Bernadotte : il alla jusqu’à déclarer qu’à son avis il serait imprudent de confier des forces considérables à un allié si équivoque, peut-être à un ennemi secret de la coalition.

Chose curieuse, Pozzo di Borgo sortait de Stralsund le matin du 21 mai. Dans la même journée, quelques heures après son départ, Bernadotte recevait un émissaire dont la démarche, s’il l’avait connue, aurait singulièrement augmenté les soupçons du diplomate russe : un émissaire de Napoléon ! L’émissaire était un officier suédois nommé Peyron, un de ceux que leur gouvernement avait condamnés