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Napoléon se relèvera-t-il plus redoutable que jamais ! » Alexandre pensa qu’il ne fallait pas pousser au désespoir l’humeur impétueuse du prince royal, et il consentit enfin à ce qu’il se séparât du gros de l’armée, pour commencer, avec les auxiliaires qu’on lui avait promis, la campagne danoise, destinée à lui faire céder la Norvège. Malgré le voisinage de Davoust, le Danemark n’était pas en état de résister longtemps à des forces très supérieures, à une armée enhardie par la victoire, à un général aussi habile que l’était Bernadotte. En dépit des secrètes menées de M. de Metternich, qui travaillait en faveur de Napoléon et de Marie-Louise, et voulait ménager les chances d’un meilleur avenir en retardant la chute du Danemark, leur seul allié, Bernadotte parvint à effrayer les Danois et les rois coalisés eux-mêmes en menaçant d’envahir tout le royaume et de détrôner Frédéric VI. Déjà il avait rédigé le plan d’un gouvernement provisoire et promettait une charte constitutionnelle. Les alliés le traitèrent en esprit têtu et brouillon, capable de tout bouleverser si on ne cédait à ses volontés, et la paix de Kiel, aux termes de laquelle la Norvège était entièrement cédée au roi de Suède, fut imposée au Danemark au milieu de janvier 1814.


III

La récompense tant de fois promise et après tant de dégoûts accordée, Bernadotte la tenait-il enfin ? — Non, pas encore. Aux termes de la paix de Kiel, le roi de Danemark, en déliant ses sujets norvégiens de leur serment de fidélité, transmettait tous ses anciens droits sur la couronne de Norvège au roi de Suède Charles XIII ; de plus l’assentiment, mieux encore la volonté expresse des puissances alliées semblait faire entrer sans conteste ce changement politique dans le droit européen. Cependant il manquait à ce marché le consentement de la Norvège elle-même. Était-elle donc vile marchandise qu’on pût acheter à prix d’argent ? Était-ce un bétail dont la Russie pût faire à son gré commerce ? Les Norvégiens déclarèrent que s’il avait plu au roi de Danemark Frédéric VI de rompre le contrat jadis conclu entre ses ancêtres et la Norvège, le peuple norvégien redevenait indépendant, et recouvrait la libre disposition de lui-même. Les Norvégiens ne se seraient pas arrogé le droit de transporter leur obéissance au pied d’un trône étranger (car ils ne dépassaient pas dans leurs théories les justes limites d’un fidèle royalisme) ; de même, le roi de Danemark n’avait pas le droit de céder ou de vendre par un marché honteux leur libre soumission. Ils ne reconnurent pas le traité de Kiel.

Les Norvégiens, il faut se le rappeler, étaient depuis bien longtemps