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elles, ou semblaient inconciliables avec la nature de ses travaux. Il admirait Jean Goujon, il en parlait avec enthousiasme, et pourtant il n’a jamais cherché la grâce. Il n’aimait pas Michel-Ange, il s’en tenait sur son compte aux déclamations de l’école, et pourtant il a poursuivi toute sa vie l’expression de l’énergie comme le grand Florentin. S’il fallait lui trouver un ancêtre dans l’histoire de la sculpture, la question serait bientôt résolue; le véritable maître de David, c’est Pierre Puget : pour peu qu’on prenne la peine de comparer le Philopœmen des Tuileries au Milon du Louvre, la parenté n’est pas douteuse; mais avant d’arrêter son choix sur ce maître glorieux, David a reçu des conseils qui n’appartiennent pas au même ordre d’idées que le Milon, et ce n’est pas une étude sans intérêt que de voir comment il est arrivé à préférer la voie où il a marché pendant près de quarante ans.

Une fois engagé dans cette route, il n’a pas détourné la tête, il n’a pas regardé en arrière, il s’est acheminé d’un pas délibéré vers le but qu’il se proposait. Or quel était ce but? que voulait David? quelle pensée a dominé tous ses travaux? Il voulait une sculpture qui fût marquée d’une empreinte précise, expression fidèle de notre temps, qui ne pût être confondue avec la sculpture d’aucun autre âge. A-t-il complètement réussi dans son entreprise? a-t-il touché le but qu’il s’était proposé? La popularité qu’il avait conquise de bonne heure, et qui ne l’a jamais abandonné, prouve que son espérance n’a pas été déçue. Reste à savoir si elle s’est réalisée sans porter atteinte aux lois de son art, aux lois posées par l’antiquité, si dans l’accomplissement de son projet il n’a pas oublié ou méconnu quelques-uns des principes qui dominent tous les âges, et qu’on ne peut négliger impunément. A cet égard, le doute est permis, et dans quelques années on comprendra mieux encore qu’aujourd’hui que, si dans les œuvres de David il y a beaucoup à louer, il ne faut pourtant pas les admirer sans réserve, car il lui est arrivé plus d’une fois de chercher dans la sculpture quelque chose que la sculpture ne pourra jamais donner, et d’engager la lutte avec un art voisin, avec la peinture. Comme il avait acquis par son travail une habileté consommée, comme il exprimait sa volonté avec une rare énergie, lors même qu’il se trompait, il semblait encore avoir raison. Ses tentatives les plus hardies, les plus téméraires, intéressaient toujours par la puissance de l’exécution. C’est un des plus grands noms de notre école, et l’on ne doit parler de lui qu’avec respect. Qu’on ne partage pas toutes ses opinions sur les questions de goût, je le comprends. Qu’on lui demande obstinément ce qu’il n’a jamais rêvé, c’est la plus sûre manière de tomber dans l’injustice.