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— Qui te l’a dit ? répondit-elle.

— Lui, tout à l’heure, après que tu nous as quittés pour courir chez toi. Il m’a entraînée dans une allée du parc, et là il m’a ouvert son cœur. Ah ! comme il t’aime ! Comment peux-tu te résoudre à faire tant de peine à une âme si tendre, si dévouée ? As-tu jamais rencontré quelque part un si bon et si brave jeune homme ? Il me semble à moi qu’il suffit de le voir pour le connaître. On lit sur son visage. Il avait des larmes dans les yeux en me parlant ! C’est notre parent, notre ami, et tu lui fais ce chagrin quand il te serait si facile de le rendre heureux ! Ah ! que c’est méchant ! Il m’a toute bouleversée, ce pauvre Évariste. Je ne savais plus que dire, mais je me suis bien promis de t’en parler. Lui désolé, lui malheureux, c’est bien mal ! Je ne m’en consolerai jamais.

Le cœur de Louise sautait dans sa poitrine, des pleurs coulaient sur ses joues. Elle serrait Alexandrine dans ses bras avec des mouvemens si convulsifs, que sa sœur, tout étonnée, la regarda.

— Mais tu l’aimes ! dit-elle tout à coup.

— Oui, je l’aime, et je voudrais qu’il fût heureux.

Louise leva sur Alexandrine ses grands yeux limpides, et, avec la naïveté d’un enfant, elle se mit à ses genoux.

— Je devine à peu près ce que tu veux me dire, reprit-elle, mais ce n’est pas cela ; moi, je ne suis rien. Je suis votre sœur à tous deux, et c’est tout ; toi, tu tiens son cœur entre tes mains. Si je venais à mourir, il pleurerait bien un peu, parce qu’il est bon ; mais s’il te perdait, il n’y survivrait pas. Je ne croyais pas, avant de l’avoir entendu, qu’on pût aimer comme cela. Si je te le dis, c’est pour te bien faire comprendre que je ne sens pas les choses comme d’autres les sentent. Seulement, quand je vais me retrouver seule dans ma cellule, je voudrais y emporter cette pensée qu’Évariste est heureux et que tu es heureuse par lui. Si tu ne l’aimes pas autant qu’il t’aime, ne lui dois-tu pas quelque chose et ne feras-tu rien pour moi, qui t’en supplie ?

La voix de Louise était si douce, que la résolution de Mlle  du Rosier en fut presque ébranlée. Elle se pencha sur elle et l’embrassa tendrement.

— Ai-je gagné ? dit Louise.

Alexandrine allait répondre, lorsqu’elle sentit sous sa main le craquement d’un papier qu’elle avait laissé la veille dans sa robe. Elle l’en tira, et reconnut la lettre que M. de Mauvezin lui avait écrite il y avait quelques mois. Ce fut comme si elle avait mis le pied sur un serpent. Le sourire qu’on voyait autour de ses lèvres s’effaça, elle ferma les yeux à demi et se leva brusquement.

— Tu ne dis rien ? reprit Louise.

Les sourcils d’Alexandrine se touchèrent par la pointe.