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fièvre, et dans le fond de son cœur elle se rappelait le jour où elle était partie, pauvre, repoussée et tout entière à la merci d’une tante qui ne l’aimait pas. Elle avait caché dans une poche de sa robe la lettre que M. de Mauvezin lui avait écrite jadis, et trouvait un plaisir âpre et singulier à la sentir sous ses doigts.

Alexandrine se fit descendre au couvent de sa sœur, et lui fit part de sa détermination.

— M. de Mauvezin ! Tu épouses M. de Mauvezin ! Mais Évariste ? s’écria Louise.

— Évariste ? Eh bien ! je l’attends… Crois-tu donc que je veuille me marier sans lui… ?

— Ah ! M. de Mauvezin ne t’aimera jamais comme Évariste.

Alexandrine sourit fièrement.

— Sois tranquille, reprit-elle ; il m’aime déjà !

Mais quand elle pria Louise de la suivre à La Bertoche pendant les jours qui devaient précéder son mariage, il fut d’abord impossible de l’y décider. Louise déclara qu’elle était résolue à prendre le voile. Son visage n’exprimait ni regret ni découragement. On y voyait plutôt l’expression mystique d’une âme qui cherche dans la prière son repos et son espoir. Alexandrine insista cependant. — Donne-moi quelques jours, dit-elle à Louise ; c’est une dernière preuve d’amitié que je te demande. Peux-tu ne pas être près de moi quand je vais me marier ?

— Je ferai ce que tu voudras, répondit Louise, revenue à ses habitudes de soumission.

Et comme Alexandrine sortait : — Songe à lui ! reprit-elle doucement.

À quelques jours de là, Mlle du Rosier reçut une lettre d’Évariste ; elle ne contenait que ces mots : « Ces deux lignes ne me précéderont que de vingt-quatre heures ; partout et toujours je suis à vous. »

Il avait été décidé que le mariage de Mlle du Rosier et de M. de Mauvezin aurait lieu à la fin du mois. On n’en était plus séparé que par un petit nombre de jours. Mme de Fougerolles voulut qu’un grand éclat entourât cette cérémonie. Toute la noblesse du département fut invitée, et l’évêque promit d’officier en personne sous les voûtes de Notre-Dame de Moulins. Un soir, Alexandrine trouva sous sa serviette un écrin renfermant des diamans de famille et les clés de l’hôtel qu’elle avait si longtemps habité au temps de sa première splendeur. — Tu m’y garderas ma chambre, lui dit Mme de Fougerolles avec une exquise distinction.

Évariste était le seul qui restât triste au milieu de toutes ces joies. Il assistait en silence à sa propre immolation. Sa présence au châ-