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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/804

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teau de La Bertoche avait d’abord excité un peu de surprise, personne dans Moulins n’ignorant quelle avait été sa situation auprès de Mlle du Rosier ; mais les esprits forts haussaient les épaules. — Bah ! disaient-ils, tout passe ! Il se trouvait cependant d’autres personnes qui ne croyaient pas à cet oubli. M. Deschapelles s’amusa même à demander à M. de Mauvezin s’il ne redoutait rien de cette secrète rivalité. Anatole sourit.

— Lui ! un rival ! dit-il avec des airs de gentilhomme ; le pauvre Évariste !

Néanmoins un observateur attentif aurait pu remarquer que Mlle du Rosier n’agissait pas en toute occasion avec M. de Mauvezin comme avec un fiancé qu’on a librement choisi. On voyait parfois en elle une hauteur, une amertume, un dédain, quelque chose d’altier et d’irrité qui donna fort à penser à Mme de Fougerolles.

— As-tu quelque chose à reprocher à M. de Mauvezin ? lui dit-elle.

— Non, dit Alexandrine.

— Vois-tu, petite, si tout ne va pas comme tu le désires, tu n’as qu’à parler, et il aura affaire à moi.

— Oh ! pour cela, je suffis ! répondit-elle.

Mme de Fougerolles dressa l’oreille. La voix de Mlle du Rosier était alors pareille à celle qu’elle avait entendue à diverses reprises, et qu’elle ne pouvait pas oublier, — Il y a quelque chose ! pensa-t-elle.

Un soir que l’on faisait de la musique, M. de Mauvezin pria Mlle du Rosier de chanter la Captive de Reber.

— C’est singulier, repliqua-t-elle à demi-voix et avec un petit rire aigu, depuis que vous avez pris cette mélodie en affection, elle m’est devenue insupportable.

Le visage de M. de Mauvezin se troubla, tandis que Mlle du Rosier s’éloignait. Elle était ce soir-là d’une beauté radieuse. Quand elle fut auprès d’Évariste, elle rencontra les yeux d’Anatole tout humides de larmes.

— Je suis vengée, dit-elle, il m’aime !…

Évariste n’entendit que ces derniers mots.

— Eh bien ! dit-il, s’il vous aime, vous êtes heureuse !… Je n’ai rien à faire ici…

Alexandrine lui jeta un regard dont la pénétrante douceur l’enveloppa tout entier. — Restez, dit-elle.

Le lendemain, on devait présenter officiellement M. de Mauvezin aux amis de la famille. Il y avait nombreuse et brillante réunion à La Bertoche. Mlle du Rosier était toute en blanc, mais elle était plus pâle que la mousseline de son corsage. On ne voyait dans son visage que