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et blâmait l’expédition du Monténégro, dont le commandement avait été confié à Omer-Pacha, qui avait déjà remporté sur les rebelles quelques avantages. Toute la presse autrichienne attaquait le général en chef ottoman avec la même animosité que lorsqu’il combattait les Bosniaques. En même temps les agens russes et autrichiens, avec un ensemble qui faisait honneur à leur esprit de discipline, représentaient la Turquie comme livrée à une complète dissolution. Jamais on n’avait vu régner plus d’inquiétude sur le présent, plus de doute sur l’avenir ; jamais les opinions sur l’impossibilité de régénérer cet empire, ou de réussir à en étayer longtemps encore l’édifice chancelant, ne s’étaient exprimées avec plus de force et malheureusement avec moins de contradictions. La détresse de l’empire ottoman était mise à nu sans ménagement par des centaines de correspondances, et les choses représentées sous le jour le plus sombre. La Russie agitait la Bulgarie par son influence ; des brigands descendaient en grand nombre de la Servie, se répandaient dans les Balkans, s’éparpillaient en bandes dans tout le pays, et commettaient des actes de rapine pour lesquels ils trouvaient en Bulgarie des adhérens ou des protecteurs. Les discussions qui se poursuivaient à Constantinople sur l’affaire des lieux saints devenaient de plus en plus sérieuses, et les nombreux agens que la Russie entretenait dans les principautés poursuivaient leurs menées avec un redoublement d’activité. Au milieu de circonstances aussi critiques, aggravées par les éloquentes attaques du plus puissant organe de la presse anglaise, la Porte ottomane cherchait à faire face à toutes les difficultés. Elle poursuivait imperturbablement son expédition contre le Monténégro, et chose toute nouvelle dans les fastes de son histoire militaire, la direction de la campagne partait de Constantinople, les ordres émanaient du séraskiérat, comme ils émanaient du conseil aulique dans les guerres de l’Autriche contre le général Bonaparte. On alléguait pour raison de cette conduite à Constantinople la nécessité de rendre les généraux plus hardis, en les débarrassant du poids de la responsabilité, et de former un véritable état-major, celui de la Turquie n’existant que de nom. Cependant les véritables causes pour lesquelles le séraskier avait adopté la méthode du conseil aulique étaient le désir de surveiller Omer-Pacha et la crainte de lui laisser tout le mérite de l’expédition. Quoi qu’il en soit, le séraskier, au mois de janvier 1853, avait donné à Ismaïl-Pacha, qui était dans l’Herzégovine, l’ordre de marcher sur Droubniak, afin de faire sa jonction avec Omer-Pacha dans la vallée de la Moracca. Il espérait ainsi, par un coup vigoureux, mettre fin à l’insurrection du Monténégro, lorsque la mission du comte de Linange à Constantinople vint arrêter Omer-Pacha au moment où de nouveaux succès allaient sans doute grandir sa renommée militaire.