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et braqua les canons sur les ponts qui unissaient l’île aux camps et qui avaient été rétablis. Il ordonna alors à cette horde d’irréguliers de mettre bas les armes. Ils refusèrent d’obéir, et ne furent mis à la raison que par la fusillade et la mitraille ; les plus jeunes furent incorporés dans l’armée, et les vieux, sans armes, renvoyés dans les montagnes du Kurdistan, de l’Asie-Mineure et dans les sables de l’Arabie. Après cette sanglante exécution, Omer-Pacha fit son entrée à Bucharest, où il fut reçu avec le plus vif enthousiasme, sous une pluie de fleurs ; les Valaques fraternisèrent avec les soldats turcs, accueillis en libérateurs. Un détachement de pontonniers français et anglais qui avait établi le pont de radeaux entre Routschouk et l’île de Ramadan fut l’objet d’une véritable ovation.


V

La campagne était terminée, mais une difficulté assez grave allait surgir. Il s’agissait pour le général victorieux de laisser l’armée autrichienne occuper les principautés à la place de l’armée turque. Le serdar avait déjà reçu à Giurgevo la visite des colonels autrichiens Löwenthal et Kalik, aides-de-camp du feldzeugmestre baron de Hess, commandant en chef des troisième et quatrième corps d’armée. Ces officiers, qui jouissaient d’une réputation distinguée dans l’armée impériale et royale, étaient venus annoncer à Omer-Pacha la prochaine entrée des forces de leur empereur sur le territoire des principautés, et l’inviter, d’une façon qui ressemblait fort à une sommation, à ne pas aller plus loin, à s’interdire l’occupation d’un territoire dont l’Autriche devait prendre militairement possession en vertu de la convention du 14 juin, et à repasser le Danube avec son armée. Le serdar ne tint aucun compte de ces observations et fit son entrée à Bucharest. Jamais commandant militaire ne fut à même d’exercer une action plus grande et plus utile à son pays et aux provinces occupées que celle que semblait indiquer à Omer-Pacha un rare concours de circonstances. Les Russes se retiraient devant lui, et surtout devant les Autrichiens, qu’ils étaient très heureux de voir entrer dans les principautés à la place des armées alliées ; la population l’accueillait comme un sauveur. Tout ce qu’il y avait de patriotes et d’honnêtes gens parmi les boyards le saluait avec acclamation et lui offrait de coopérer à l’organisation d’une milice nationale dont l’enthousiasme aurait rapidement grossi les rangs, qui non-seulement aurait eu le grand avantage de maintenir l’ordre dans les principautés au moyen des forces mêmes de la nation, mais aurait puissamment coopéré à protéger le territoire contre les invasions ennemies. Une adresse formelle fut remise à ce sujet à Omer-Pacha, et parmi les signataires de cette adresse les principautés