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Leandro, dont l’oiseau mystérieux représente le génie, t’a donné la force de t’élever jusqu’à ce séjour bienheureux, qui seul renferme des fleurs et des amours éternelles. »

Cette légende, entremêlée de lazzi populaires, traversée par les quatre masques de la comédie italienne, renfermait des scènes intéressantes qui avaient affecté Beata. Elle revint toute triste au palais, et c’est l’âme remplie de douloureux pressentimens, que la fille du sénateur assista à la grande soirée qui précéda le départ de Lorenzo, et où l’abbé Zamaria va raconter les vicissitudes de la musique de Venise.

De toutes les villes qui se sont élevées dans le monde par la volonté d’un conquérant ou par un caprice de la fortune, Venise est la plus extraordinaire, Née comme une fleur sur des rochers déserts, au fond d’un golfe tout rempli de souvenirs mythologiques, elle s’y est développée sous la double influence de la nécessité et d’un rayon de la civilisation grecque, qui s’était fixée sur ces rivages hospitaliers. Après avoir lutté contre les premières difficultés, après avoir hésité pendant quatre cents ans sur le choix du lieu qui devait être le siège définitif de la colonie naissante, abandonnant tour à tour Héraclée et Malamocco, dont on avait reconnu les inconvéniens, la république vit son neuvième doge, Ange Partecipatio, fixer les destinées de Venise sur un groupe de soixante petites îles, et faire construire, en 810, sur la plus grande de toutes, le Rialto, un palais princier au même emplacement qu’il occupe aujourd’hui. Telle fut l’origine modeste de cette ville merveilleuse dont la grandeur inespérée s’explique par la fatalité des circonstances qui la condamnaient à subjuguer ses voisins pour sauvegarder son indépendance. Aussi, dès la fin du Xe siècle, Venise avait purgé l’Adriatique des pirates qui l’infestaient, conquis la Dalmatie, et pris possession de ce golfe qui lui appartenait par le droit que donne la force qui protège et civilise. Au XIe siècle, elle suivit le grand mouvement des croisades, comme une puissance politique qui se sert des sentimens religieux sans s’y abandonner entièrement ; elle établit des comptoirs dans tout l’Orient, et prit une bonne part des dépouilles de l’empire grec. Forte alors de ses colonies lointaines, de ses richesses et de ses institutions, qui avaient suivi les transformations de sa fortune, la république tourna son ambition vers la terre ferme, et devint à la fin du XIVe siècle un des premiers états de l’Italie. Se mêlant aux intérêts compliqués de la péninsule, elle sut résister à la papauté, dont elle repoussa toujours les prétentions temporelles, combina des alliances avec les grandes puissances de l’Europe qui se disputaient la possession de ce beau pays, servit de barrière à la chrétienté contre la barbarie des Turcs, gagna la bataille de Lépante, et atteignit un si haut degré de prospérité matérielle et de grandeur morale, qu’elle