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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/856

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que nous puissions percevoir distinctement[1] ; mais, entre ces deux pôles de l’échelle musicale, soit qu’on remonte du son le plus grave jusqu’au plus aigu, ou qu’on descende du plus aigu jusqu’à celui que produit un tuyau d’orgue de trente-deux pieds, existe-t-il un point d’arrêt qui oriente l’oreille, comme l’œil qui regarde un paysage pour la première fois est forcé de choisir un point de repère pour ne point s’égarer dans la multitude des objets qui le frappent ? Oui, sans doute, et cette division de l’étendue sonore, que l’homme n’a pas plus créée qu’il n’a créé les sons et les couleurs, c’est l’octave, portion de l’échelle renfermée entre deux notes dont l’une est la reproduction de l’autre. Cette unité donnée par la nature, dont chaque degré est le produit d’un nombre plus ou moins considérable de vibrations, s’appelle vulgairement la gamme.

Il se présente ici une question très importante, qui a préoccupé les théoriciens de tous les temps, et qui reste encore aujourd’hui un sujet de controverse. L’espace parcouru entre un son quelconque de la série musicale et celui qui en reproduit la sensation, cette consonnance de l’octave donnée par la nature, et que l’oreille ne peut franchir sans être forcée de recommencer le même voyage jusqu’à la dernière limite des sons appréciables, la trouve-t-on constituée dans la musique primitive des peuples dont il nous reste des monumens ? La réponse n’est pas aussi facile à faire qu’on pourrait le croire d’abord. Non-seulement il est rare de trouver dans la musique primitive des différens peuples l’espace renfermé entre les limites de l’octave parcourue d’un bout à l’autre, de telle manière que l’oreille perçoive et conserve cette unité d’impression que nous appelons le ton ou tonalité, mais les degrés même qui remplissent cet espace infranchissable de l’octave varient souvent et de nombre et de grandeur. Vous avez sans doute entendu dire que les Arabes, les Égyptiens, les Indiens, les Chinois, ne possédaient pas la même série de sons que nous autres peuples européens, qu’ils avaient des intervalles plus petits ou plus grands que ceux que nous admettons dans notre gamme diatonique ? Comment expliquer ce fait d’observation, qu’il est difficile de révoquer en doute ? Puisque l’homme a toujours été constitué de même, qu’il possède partout les mêmes organes et qu’il vit au milieu des mêmes élémens, il devrait subir les mêmes modifications et exprimer les mêmes sensations. Je le

  1. Les travaux de Sauveur, de Wollaston, de Chladni et surtout de Savart, qui ont eu pour objet l’étude du corps sonore, ont donné ce résultat, qui est acquis à la science, que le son le plus grave de l’échelle musicale est le produit de trente-deux vibrations par seconde, et qu’il faut huit mille vibrations par seconde pour donner le son le plus aigu. Telles sont les limites du clavier de nos plus grandes orgues. Des expériences ingénieuses faites récemment par M. Despretz, et dont le résultat a été communiqué à l’Académie des Sciences, prouvent qu’on peut étendre cette échelle, et que la sensibilité de l’oreille est encore plus perfectible que celle de l’œil.