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et de madrigaux à plusieurs voix remplis d’esprit et de jovialité, puis Jean Crocce, surnommé il Chiozzetto à cause du lieu de sa naissance, musicien non moins bizarre, qui a laissé un grand nombre de compositions bouffonnes. Dans le genre dramatique, on remarque au premier rang François Cavalli, maître de chapelle de Saint-Marc, compositeur fécond et hardi, dont les opéras eurent un succès prodigieux, et le firent appeler en France pendant la minorité de Louis XIV. Gesti, Caldara et Legrenzi succèdent à Cavalli comme compositeurs dramatiques, et remplissent la seconde moitié du XVIIe siècle. Maître de chapelle de Saint-Marc et directeur de l’école dei mendicanti, Legrenzi a consacré sa vie presque exclusivement aux églises et aux théâtres de Venise, qu’il a alimentés pendant cinquante ans. Il a eu pour élèves Gasparini et Lotti, dont la gloire a fait oublier celle de son maître. Né à Venise en 1667, Nicolas Lotti fut nommé organiste du grand orgue de l’église de Saint-Marc en 1693, qu’il tint pendant quarante ans, puis maître de chapelle en 1736, où il succéda à Antonio Biffi. Génie sévère et grandiose, Lotti, qui a traité tous les genres, et dont les opéras, les duos, les trios et les madrigaux charmans ont eu beaucoup de popularité, s’est particulièrement distingué dans la musique religieuse, où il a révélé une science et une profondeur de sentiment peu communes. Ses messes, ses motets avec ou sans accompagnement d’instrumens, et surtout ses admirables vêpres qu’on chante encore aujourd’hui à San-Geminiano[1], où reposent ses dépouilles mortelles, sont des œuvres dignes de Palestrina par la pureté de l’harmonie, par la noblesse, la clarté du style et la suavité pénétrante des effets. Lotti, qui est mort le 5 janvier 1740, âgé de soixante-treize ans, a joui d’une réputation qui n’a été surpassée que par Benedetto Marcello.

Permettez, à un vieux disciple de Benedetto Marcello de s’arrêter un instant avec respect devant l’une des plus belles gloires musicales de notre pays. Issu d’une noble famille patricienne, qui compte dans ses annales un doge, six procurateurs et d’autres illustrations civiles et militaires, Benedetto était le troisième fils d’Augustin Marcello et de Paola Cappello. Il est né à Venise le 24 juillet 1686, et fut élevé par son père avec le soin qu’exigeait sa naissance. L’intelligence de Benedetto ne fut pas d’abord très accessible à la musique, qui était généralement cultivée dans la maison paternelle, et il montra surtout de la répugnance pour l’étude du violon. Il fallut que les railleries de l’un de ses frères, qui jouait fort bien de cet

  1. L’église de San-Geminiano, qui n’existe plus, était l’une des plus anciennes de Venise. Elle s’élevait au fond de la grande place de Saint-Marc, en face de la basilique. Lotti, dans son testament, avait ordonné, qu’on ne chantât ses vêpres qu’une seule fois par an, le jour de la fête de Sau-Geminiano. Après l’exécution, on déposait le manuscrit dans les archives de l’église, où il était soigneusement gardé.