Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/917

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pensée du poète, et l’unité disparaît. S’ils ne saisissent pas ou s’ils oublient l’enchaînement des idées, ils se dédommagent en créant, en exprimant des intentions qui ne s’accordent pas avec la nature du personnage. Pour les comédies de Molière, ce que j’avance n’est pas douteux.

Quelle défense opposer à l’invasion du caprice dans l’ancien répertoire ? L’auteur n’est plus là pour imposer sa volonté. Comment donc forcer les comédiens à la respecter ? À coup sûr, ce n’est pas chose facile. Je crois pourtant qu’on peut leur enseigner la docilité, même envers les morts.

Le moyen qui se présente naturellement, le seul auquel on puisse recourir, c’est de soumettre l’ancien répertoire aux mêmes conditions que les pièces nouvelles, c’est-à-dire d’en suivre, d’en surveiller les répétitions, sans rien abandonner aux caprices, aux prétentions des comédiens. C’est la méthode la plus sûre pour rétablir le sens primitif, le sens légitime des comédies de Molière. La première fois que le directeur du Théâtre-Français voudra suivre ce conseil, car j’espère que tôt ou tard il le suivra, il y aura des murmures et des railleries dans la compagnie. Les chefs d’emploi ne manqueront pas de se récrier. Ils iront peut-être jusqu’à demander si on les prend pour des écoliers ; ils ne sont plus d’âge à recevoir des leçons, et comprennent mieux que personne l’ancien répertoire. Que le directeur ne se laisse pas déconcerter par cette résistance ; qu’il ne déserte pas, pour s’épargner quelques ennuis, la cause de la justice, et il recueillera bientôt les fruits de sa persévérance. Il n’y a pas de railleries, si fines, si acérées qu’elles soient, qui doivent prévaloir contre l’évidence. Puisqu’il est démontré que les comédiens comprennent mal et rendent mal les comédies de Molière, pourquoi donc hésiterait-on à leur dire nettement qu’ils se trompent ? Qu’ils invoquent tout à leur aise le respect dû à leurs longs services, cet argument ne changera pas l’état de la question. S’il y en a parmi eux qui se trompent depuis trente ans, est-ce une raison pour qu’on ne les éclaire pas sur leur méprise ?

Le Théâtre-Français, il ne faut pas l’oublier, n’est pas seulement un lieu de divertissement : c’est en même temps une institution littéraire. Or, si l’ancien répertoire était livré aux caprices des comédiens, quel bénéfice la nation pourrait-elle retirer d’une telle institution ? La représentation serait moins instructive que la lecture. Il suffit de signaler les conséquences du régime adopté pour démontrer la nécessité d’une réforme. Le vœu que j’exprime n’est pas d’ailleurs aussi singulier que voudraient le donner à penser les amis de la routine. Si l’Opéra, au lieu de jouer toute l’année quatre ou cinq pièces, voulait reprendre l’ancien répertoire et remettre en