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et aux droits protecteurs des droits exclusivement combinés dans un intérêt fiscal, on pourrait sans aucun doute augmenter le revenu des douanes de 50 ou 60 millions. Dans le pays du free trade par excellence, l’Angleterre, la douane rapporte plus de 500 millions à l’état, elle peut bien en rapporter la moitié en France. Ainsi se trouverait à peu près comblé le déficit qu’on cherche aujourd’hui à remplir par de nouveaux impôts. Il suffirait, en supprimant toutes les prohibitions, d’établir des droits spécifiques calculés en moyenne sur le pied de 15 pour 100 de la valeur, réduits à 10 ou même 5 pour les matières premières et portés à 20, 25 et même 30 pour les objets manufacturés. Je ne vois vraiment pas quelle objection plausible on pourrait faire à un pareil remaniement des tarifs. Quand les questions se posent ainsi dans leurs véritables termes, on peut dire sans exagération qu’elles disparaissent. Ce n’est que par une illusion inexplicable que le débat a pu jamais s’agiter entre la protection et le libre-échange absolu, car d’un côté les protectionistes ne peuvent pas avoir la prétention d’empêcher toute espèce de commerce extérieur, et de l’autre les partisans du libre-échange n’ont jamais pu se flatter de supprimer les douanes, qui figurent au nombre des meilleurs impôts.

Au moment où j’écris ces dernières lignes, le corps législatif vient de transformer en loi la plupart des décrets rendus par le gouvernement pour abaisser quelques-uns de nos tarifs. C’est une consécration de plus. La discussion n a pourtant pas été beaucoup plus favorable en apparence que par le passé au principe de la liberté commerciale ; un seul orateur, M. de Kergorlay, député d’une de nos plus riches provinces, la Normandie, a développé des idées analogues à celles que je viens d’exposer : tous les autres, notamment les organes de la commission et du gouvernement, ont cru devoir faire une éclatante profession de foi en faveur du système protecteur. Peu importe au fond, puisque les actes sont si peu conformes aux paroles. La même singularité s’était déjà produite en 1850 dans la session du conseil général de l’agriculture et du commerce. Quand la question de principe fut posée, l’assemblée presque tout entière vota, avec une véritable passion, pour le maintien de la protection. Dans toutes les questions d’application, comme les soies, les sucres, les bestiaux, et surtout la grande question de l’introduction en franchise des produits algériens, elle vota dans le sens du libre-échange. Le corps législatif vient d’en faire autant à l’unanimité. Tout ce qu’on peut désirer, c’est que les pouvoirs publics continuent à défendre ainsi le système protecteur ; il n’en restera bientôt plus rien.


Léonce de Lavergne.