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incurie et le même gaspillage qui existent dans l’administration des contributions se retrouvent dans celle du domaine, comme on peut les remarquer en tout, et ont conduit l’agriculture au plus fâcheux état de décadence dans un pays dont la fertilité est historique. Qui ne connaît en effet, sous ce rapport, la réputation de la provincia Africa ? Dans des temps peu éloignés de nous, la régence de Tunis a encore fourni à l’Europe des quantités considérables de grains ; cependant il est certain que de nos jours elle a souvent de la peine à se suffire à elle-même. La fécondité du sol n’a pas néanmoins disparu, car le rendement moyen est encore de seize pour un ; mais les cultures ont sensiblement diminué, conséquence funeste des entraves et des vexations imposées à la plus noble et à la plus légitime des industries Le laboureur, qui n’est jamais sûr de jouir en paix du fruit de son travail, ne travaille plus que juste autant qu’il le faut pour ne pas mourir de faim.

Vingt ans d’une administration, je ne dis pas savante, mais seulement raisonnable et juste, décupleraient la puissance agricole de la régence de Tunis. Ce n’est pas que cette contrée réponde en tout aux idées que nos souvenirs classiques tendent à nous en donner. Le sol a été en plusieurs lieux profondément détérioré par des siècles d’abandon et d’incurie ; mais en un grand nombre d’autres, les élémens conservateurs ont triomphé des élémens destructeurs. Nous avons déjà cité le bassin de la Medjerda, le territoire de Badja, celui de Mater et de Bizerte, le sahel de Soussa et l’Arad. Il en est encore d’autres, tels que le bassin de l’Oued-Mealague et l’Oued-Serat, ceux de l’Oued-Siliana, deTOued-Keled et de l’Oued-Hatal, la belle plaine de Sers, une grande partie de celle de Kairouan, et beaucoup d’autres moins remarquables. En voilà plus qu’il ne faut pour nourrir non huit cent mille habitans, mais huit millions.

Salluste a dit en parlant du sol africain bonus pecori. C’est encore vrai : le bétail est un des élémens les plus assurés de la prospérité de ce pays. La race ovine y est belle et de l’espèce à grosse queue. La race bovine est un peu grêle et chétive ; mais on pourrait l’améliorer par des croisemens intelligens. Les chameaux sont magnifiques et nombreux. L’époque la plus critique pour le pacage est la seconde partie de l’été et la première de l’automne : c’est celle où l’herbe est complètement brûlée. Cette herbe, presque partout extrêmement abondante et drue au printemps, commence à repousser après les pluies d’automne. Les grandes chaleurs arrivent avant qu’elle ait pu être toute consommée par les troupeaux, car il y en a en surabondance ; mais elle est bientôt tellement desséchée, qu’elle n’offre plus rien à la nutrition. Si on la coupait à temps, on en ferait un excellent foin qui nourrirait le bétail dans la saison difficile, et