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délie sa chevelure et rend les armes, ni le soldat endormi, privé de cuirasse, ou désarmé, ni le combattant qui s’abstient d’agir un instant, ni celui qui est aux prises avec un autre. Il respectera aussi celui dont le glaive est brisé, celui qui est grièvement blessé, il laissera passer avec mépris, et comme indignes de ses coups, le lâche et le fuyard. Enfin sa colère s’arrêtera devant le guerrier accablé de chagrin qui pleure la mort d’un père, d’un fils ou d’un ami étendu à ses côtés.

Homère et Virgile nous ont appris à admirer, dans les héros antiques, la générosité et la grandeur d’âme ; voilà pourquoi nous aimons à retrouver dans une antiquité plus reculée encore ces sentimens d’humanité qui témoignent d’une civilisation avancée. Après la victoire, le roi triomphant se tiendra dans les limites de l’équité et de la modération. Inaccessible au ressentiment, il fera publier une amnistie générale propre à rassurer les peuples vaincus ; il dira : « À tous ceux qui m’ont offensé en portant les armes contre moi pour le service de leur maître, je pardonne ; qu’ils ne craignent rien et retournent tranquillement à leurs travaux. » Bien loin de poser sur sa tête la couronne du prince dont le sort des armes lui a livré la capitale et les états, il la donnera à quelqu’un de la famille de celui-ci, et se contentera de lui imposer des conditions de vassalité. Il distribuera même des largesses et des présens au peuple, au nouveau roi ou à ses conseillers ; les lois et les coutumes de la contrée continueront d’être en vigueur comme par le passé. Rien ne sera donc changé, si ce n’est le souverain contre qui la guerre a été entreprise, et la chute de celui-ci n’entraînera point la ruine de ses états. Il ne s’agit plus dans tout ceci d’une guerre de race, d’une guerre d’extermination. On ne voit point qu’il soit question de populations emmenées en esclavage ou réduites à l’état de servage par le vainqueur[1]. La conquête de l’Inde sur les aborigènes était définitivement accomplie au temps où ces lois ont été proclamées. Le sol appartenait sans retour à la race aryenne, qui ne formait plus qu’une grande famille, souvent divisée il est vrai, mais unie dans son ensemble par le lien d’une même croyance et d’un même culte. Dans ce monde indien constitué sur des bases solides, il y avait un but que les rois poursuivaient toujours avec énergie, et qui les poussait à lutter sans cesse les uns contre les autres : imposer leur domination aussi loin que s’étendent les royaumes hindous, et conquérir le

  1. La guerre d’extermination avait eu lieu au temps de la conquête, lorsque les Aryens disputaient aux aborigènes la possession du sol de l’Inde. Quant aux esclaves, il y en a eu dans la société brahmanique, et les hommes sont cités parmi les choses que le brahmane, réduit à se faire marchand dans un cas de détresse, ne pourra pas vendre. Le commentateur répète le mot sans l’accompagner d’aucune explication.