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Les deux premières semaines qu’elles passèrent dans le sérail ne furent marquées que par peu d’incidens caractéristiques. Quelques procédés assez gracieux leur témoignaient toutefois que Chamyl entendait les traiter avec bienveillance, L’iman se fit amener leurs enfans et les renvoya très satisfaits, les mains pleines de bonbons et de fruits confits. La femme qui les reconduisit aux princesses leur dit que le prophète avait trouvé le petit Alexandre très affaibli, et qu’il offrait, si la princesse Anne le trouvait bon, de lui envoyer une femme qui exerçait la médecine dans le pays. La princesse accepta cette offre, et la femme en question arriva dès le lendemain. Elle appliqua sur le ventre du petit malade un linge enduit d’une sorte d’onguent, puis elle prescrivit d’envelopper l’enfant pour la nuit dans la peau d’un mouton fraîchement égorgé. Ce traitement fut renouvelé pendant plusieurs jours, et l’enfant s’en trouva bien. Chaque matin, Chamyl se le faisait apporter et l’examinait très attentivement. Était-ce bonté ? était-ce calcul chez le rusé montagnard, préoccupé de vendre chèrement aux Russes la liberté des victimes de l’invasion et craignant d’en perdre une ? C’est une question que les princesses ne purent résoudre. Pendant ces premiers jours de leur captivité, Chamyl reçut de nombreuses visites, et eut plus d’une fois l’occasion de traiter avec un certain faste divers chefs montagnards, entre autres Daniel-Sultan[1]. Les deux malheureuses captives ne pouvaient assister à ces réceptions, et commençaient à trouver la vie du sérail bien monotone. Un jour enfin, on amena devant leur porte un homme arrivé de la Kakhétie, et elles reconnurent un serf du prince David, nommé Nicolas. Plusieurs montagnards l’entouraient. Nicolas venait de la part de son maître leur annoncer que le prince David était vivant et ne les oubliait pas. En voyant l’état dans lequel se trouvaient les princesses, il ne put retenir ses larmes, et les montagnards l’emmenèrent aussitôt. Nicolas n’était porteur pour Chamyl d’aucunes propositions relatives au rachat des prisonnières ; mais à son retour près de son maître, qui s’était rendu à Khasaf-Yourt, dans le voisinage du territoire occupé par Chamyl, il fit un si triste tableau de la situation des captives, que le prince se décida à ne rien négliger pour hâter leur délivrance. Un certain Mohammet, homme intelligent et sûr, et un serf des Orbéliani, nommé Sakhar, se chargèrent de porter à l’iman une lettre où le prince lui offrait une rançon de 40,000 roubles argent pour les membres de sa famille qui étaient ses prisonniers.

Pendant que l’on prenait ces dispositions à Khasaf-Yourt, le sort des captives de Dargui-Védeno devenait de plus en plus pénible.

  1. Daniel, sultan d’Elisei, s’était d’abord soumis aux Russes et avait été nommé général à leur service, puis il les avait trahis et avait repris rang parmi les auxiliaires de Chamyl, qui avait même autorisé son fils Kazi-Machmet à épouser sa fille.