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Un progrès déduit des mouvemens de la statistique générale ne saurait être mis tout entier, dira-t-on, au compte des paysans. — Non certes, et c’est la justement ce qui le fait réel et durable. Le petit cultivateur est le premier intéressé à ce que le gros propriétaire de qui il attend un supplément en salaires, les classes commerciales qui accumulent les capitaux nécessaires à celui-ci, l’habitant des villes qui est le principal acheteur de l’excédant de la production des campagnes, participent du développement de l’aisance. Le point essentiel à constater, c’est qu’un progrès qui introduisait de si larges remaniemens dans la statistique générale a dû porter forcément sur les masses, c’est-à-dire sur les paysans qui forment l’immense majorité de ces masses, et donner ainsi à la pression chaque jour plus molle du miguélisme dans les campagnes le contre-poids croissant de l’intérêt personnel. On pourrait même soutenir que la quote-part individuelle du paysan au dividende de bien-être créé par les nouvelles institutions a été de beaucoup la plus forte. Il n’existe aucun relevé complet de l’agriculture sous l’ancien régime ; mais s’il est vrai, comme l’a dit naguère un écrivain distingué du pays[1], que « le Portugal, avant l’abolition de la dîme et des droits féodaux, n’avait pas de quoi manger deux ou trois mois de l’année, » la progression de la richesse agricole laisserait bien en arrière celle qui se manifeste dans l’ensemble du mouvement social. Nous demandons encore grâce pour quelques chiffres qui seront les derniers. L’arithmétique a droit à quelque indulgence quand elle est de l’histoire, — et ce n’est pas ici de histoire seulement. Mesurer les forces contenues qui fermentent dans l’apparente stagnation du Portugal, c’est indiquer d’avance la vitesse et l’étendue du torrent de production qui en débordera le jour probablement prochain où la pioche du terrassier ouvrira une issue à ces forces, et où des chemins de fer offriront leurs facilités exceptionnelles de transport à des accumulations de denrées qui, faute de routes, même ordinaires, ne pourraient aujourd’hui franchir un rayon de vingt lieues qu’à la condition de doubler de prix.

Moins de quinze ans après l’époque où le Portugal était réduit à attendre du dehors les deux ou trois douzièmes de ses moyens alimentaires, les rôles commencent à s’intervertir. Dès 1846 par exemple, non-seulement le Portugal a cessé d’importer du maïs et du seigle, mais il en vend déjà à l’étranger 130,000 hectolitres. Pour l’ensemble des céréales autres que le riz (qui est également en progrès), c’est-à-dire pour le blé, le maïs, le seigle, l’orge, l’avoine,

  1. M. À Herculano, dans la Revista Peninsular, n° de février 1856. Les nombreux renseignemens verbaux que nous avons pu recueillir confirment cette assertion.