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et toutes les fois qu’on essaiera de les concilier, on ne produira que des œuvres bizarres, sans grandeur et sans gaieté. Ce n’est pas ainsi que procédait André Chénier. S’il a plus d’une fois emprunté à Régnier la familiarité de son langage, il n’a jamais oublié l’unité morale dans ses compositions, et j’ai tout lieu de croire qu’il n’eût pas approuvé les conseils du bouvreuil.

La Coccinelle serait un charmant enfantillage, si le récit ne se terminait par un jeu de mots qui dépassé les bornes de la puérilité. Saisir sur le cou d’une jeune fille un insecte qui l’effraie et oublier de poser ses lèvres sur son cou, jusque-là tout demeure dans le domaine poétique ; mais ajouter que si la bête est de Dieu, la bêtise est à l’homme, c’est un jeu de mots que la prose n’accepterait pas, et que la rime ne peut excuser. Dans une autre pièce, quand les fleurs, les buissons et les oiseaux, en voyant le rêveur, c’est le nom que le poète se donne lui-même, s’effarouchent de sa venue, et qu’un oiseau plus savant que ses compagnons dit à son voisin : « Es-tu bête ? il est de la maison, » la surprise du lecteur est mêlée de dépit. M. Victor Hugo, qui a souvent exprimé des pensées très élevées dans une langue sublime, agirait prudemment en renonçant aux jeux de mots. Quand il veut se montrer spirituel, il lui arrive bien rarement de toucher le but. Il a trop souvent renouvelé cette épreuve pour que ses plus fervens admirateurs conservent aucun doute à cet égard. Railler n’est pas son fait, à moins qu’il ne s’élève jusqu’à l’ironie.

Placées dans un autre livre, les pièces dont je viens de parler n’étonneraient personne, et ne soulèveraient aucune discussion ; les défauts que je signale passeraient presque inaperçus. Placées dans les Contemplations, elles ne peuvent être accueillies avec la même indulgence. On se demande en effet pourquoi le poète, qui les a écrites dans ses jours de jeunesse et de loisir, les rassemble aujourd’hui. Les bagatelles de l’adolescence plaisent encore dans la virilité : quand la première moitié de la vie est déjà franchie, elles n’ont plus le même attrait. Chaque chose a son temps. Les baisers dérobés, les promenades mystérieuses sous les chênes séculaires, les serremens de main, les aveux échangés, les victoires offertes par la passion à l’ingénuité, tous ces thèmes charmans demandent un poète dont le front n’ait pas de rides. Dès que les tempes se dépouillent, dès que les cheveux grisonnent, bon gré mal gré il faut absolument renoncer à ces divins souvenirs. En dédaignant les conseils du temps, on s’expose à des jugemens sévères. À Dieu ne plaise que j’invite l’auteur des Contemplations à ne plus parler des premières années de sa vie ! Jamais une telle pensée ne m’est venue. C’est aux premières années de sa vie que nous devons les plus belles pages des Feuilles d’Automne ; mais dans ce recueil je ne trouve pas une pièce dont le ton