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ne disparaîtrait-il pas devant l’immense service que le roi a rendu votre altesse ? Louis XVIII, lui seul, vous a réconcilié, monseigneur, avec cette France que vous aimez tant. On ne vous aimait pas en France depuis que vous aviez été un des grands instrumens de nos revers… — Vous vous trompez, reprit vivement Bernadotte, vous vous trompez ; je suis très bien instruit, je connais l’opinion ; on ne me reproche rien. — J’en demandé pardon à votre altesse, je ne me trompe pas. Sans parler des envieux de votre gloire et de votre bonheur, je connais l’armée, dans les rangs de laquelle j’ai vécu long temps. Il n’est pas un seul de ses chefs, je dirais presque un seul de ses soldats qui n’ait désiré venger sur vous les malheurs dont vous avez été une des premières causes. Des milliers d’hommes auraient donné leur vie pour arracher la vôtre, car que pouvaient-ils voir en vous en 1813 et en 1814 ? — Un homme offensé, répondit Bernadotte, et qui cherchait à venger noblement une injure personnelle. Qu’est-ce que l’armée peut me reprocher ? Ne me suis-je pas arrêté lorsque ma vengeance a été satisfaite ? J’ai voulu montrer à l’empereur qu’il ne pouvait pas m’insulter impunément. Quand il a été rejeté dans les limites que la nature lui avait tracées, ne me suis-je pas arrêté ? L’ai-je poursuivi ? On connaît la répugnance que j’avais à passer le Rhin. Vos prisonniers savent comment je me suis conduit envers eux. .. Pour preuve qu’on ne m’est pas si contraire en France, sachez qu’on m’a offert de me mettre à la tête de l’armée et de la nation, et que plus tard encore on a voulu faire de moi un intermédiaire entre la nation et les Bourbons. Des maréchaux, des généraux, — que je vous citerai, — m’ont pressé d’accepter la couronne ; je leur ai demandé quelle garantie j’aurais de leur parole ; pouvais-je compter sur eux quand ils venaient d’abandonner un chef comme Napoléon ? » C’est là un clair témoignage des sentimens qui agitaient alors le prince royal. Évidemment Bernadotte, pendant les cent jours, voulait se rapprocher de la France, avec le secret dessein ou d’accorder à Napoléon l’hommage intéressé de son amitié après lui avoir fait éprouver le poids de sa colère, ou de s’offrir lui-même comme en échange à la fortune fatiguée du héros. Il cherchait ainsi dans une alliance invraisemblable ou dans une élévation que la Russie ne pourrait condamner, puisqu’elle en avait elle-même éveillé et fomenté l’espérance dans l’esprit de Bernadotte, un appui pour la Suède et pour sa nouvelle dynastie contre la protection de cette même Russie, qui ne laissait pas de lui être déjà à charge.

On pense quel tonnerre fut la nouvelle de la seconde restauration pour Bernadotte, engagé bien loin déjà dans ces calculs. « Je ne trouverai jamais d’expressions assez fortes, écrit le chargé d’affaires de Francien date du 11 juillet 1815, pour rendre ce qui s’est