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dans l’alliance française, il fût revenu sans arrière-pensée à l’ancienne politique suédoise ; mais pour cela il eût fallu renoncer à l’amitié russe, qui ne s’accommodait pas encore très volontiers du nouveau régime libéral, et qui paraissait le tenir en quelque suspicion. Et renoncer à cette ancre, c’était pour Bernadotte se jeter de nouveau dans tous les hasards au moment où il croyait sentir l’approche d’une nouvelle tempête. Il n’osa donc pas secouer le joug. Au lieu de se rapprocher d’un gouvernement dont une singulière conformité d’origine et de principes lui recommandait l’alliance, on le vit, sinon s’en éloigner, au moins s’imposer à son égard une froide réserve, que sa fantasque humeur devait encore lui rendre impraticable. De là ses continuelles déclamations contre la propagande libérale, déclamations qui peuvent servir dépendant à celles qu’il avait débitées naguère contre la contagion des idées absolutistes. Avant 1830, il se plaignait des « manœuvres hostiles d’une faction antisociale qui, d’un bout de l’Europe à l’autre, combattait avec acharnement contre la liberté des peuples, et qui, pour la détruire à sa source, voulait anéantir tout gouvernement constitutionnel[1]… » Après 1830 au contraire, c’est l’idée d’une démocratie puissante qui lui cause mille terreurs. « Il ne veut pas, dit-il en février 1831, concevoir le moindre doute sur la loyauté des intentions du roi Louis-Philippe ; mais, dans un temps si troublé, il faut être sur ses gardes, il faut de la vigilance : une dynastie nouvelle en a surtout besoin… Des avis qu’il a reçus de différens côtés lui font croire que des tentatives ont été faites pour semer chez lui la discorde… » Bien plus, il étonne le ministre d’Autriche par ses nouvelles théories : « Il faut que l’aristocratie soit forte, dit-il au comte de Woyna en septembre 1833, il faut qu’elle oppose des digues puissantes au torrent démagogique. Caïn et Romulus, voilà des aristocrates comme il nous en faut ! Ils n’ont pas hésité à verser le sang de leurs frères !… Remerciez en mon nom M. de Metternich de ses nobles efforts pour combattre les révolutionnaires. L’empereur de Russie et lui sont les sauveurs de l’Europe ! »

Il faut dire que, lorsqu’il prononçait de si bizarres paroles, Bernadotte était sous l’impression de la lecture d’un vaudeville français qu’on lui avait communiqué peu de jours auparavant[2]. – Quelques

  1. Voyez un article du 25 novembre 1818, inséré dans le Constitutionnel, et issu très probablement du cabinet de Bernadotte, dont il, répète non-seulement les idées, mais les phrases habituelles d’alors. On sait combien Bernadotte aimait à se servir des journaux étrangers. Dans ses jours de hardiesse il menaça la restauration de lâcher contre elle, suivant son expression, « ses braillards d’Allemagne. » On sait aussi combien il était sensible à ce que disaient de lui les journalistes, et que de peines il se donna pour avoir des plumes à lui.
  2. Le Camarade de lit, représenté au théâtre du Palais-Royal au mois de mai 1833, et où l’on avait mis assez irrévérencieusement sur la scène l’ancien républicain passé roi.