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pendant près de trois mois au protectorat de Richard, qu’il avait pris au sérieux la trêve que lui accordaient les partis, que Cromwell au tombeau, son fils mis de côté, et le long-parlement essayant de revivre dans ces derniers débris, l’idée de la royauté et de son retour possible ne lui apparaissait pas encore ; qu’il voyait des abîmes entre le trône et Charles II ; que les desseins de Monk, jusqu’au dernier moment, lui demeuraient impénétrables ? C’est tout cela qui se trahit de la façon la plus comique et la plus saisissante dans son journal épistolaire. Là, point de compromis, point d’excuse : la conjecture de la veille est démentie le lendemain ; il faut le dire à son éminence, sauf à se réfugier dans une autre hypothèse d’où bientôt on sera délogé d’autant plus tôt qu’elle sera plus conforme aux probabilités ordinaires et aux calculs du sens commun. Il y a des époques ainsi faites, que les meilleurs esprits paraissent les plus sots. Ce n’est qu’une habitude à prendre, et M. de Bordeaux y semble résigné, car il fait sans façon l’aveu de ses mécomptes, et c’est près qu’un refrain dans ses dépêches qu’une certaine phrase dont il varie la forme, mais dont le fond est toujours celui-ci : « Vous apprendrez avec surprise que les nouvelles d’aujourd’hui diffèrent entièrement de celles que je vous faisais prévoir ces jours passés. » Quelle preuve parlante de l’état d’un pays que cette succession de surprises ! Et quels autres documens que des lettres pour faire ainsi toucher au doigt les changemens à vue de la scène politique ? Vous croyez y assister vous-même ; chaque dépêche est un fil électrique qui de moment en moment vous transmet et vous fait sentir les moindres variations de cette changeante atmosphère. Il n’en faut pas conclure que les lettres de M. de Bordeaux soient toutes, sans exception, d’un égal intérêt, et nous regrettons même, puisque M. Guizot en avait sagement élagué des passages trop étrangers à son sujet, qu’il ne soit pas allé plus loin dans cette voie, et qu’il ait conservé, par exemple, ces longs traités purement diplomatiques sur l’Espagne et les états du Nord qui reviennent de temps en temps, documens curieux sans doute, mais d’un intérêt trop restreint et pour ainsi dire trop technique pour venir s’entremêler ainsi à ces descriptions vivantes des passions et des intrigues qui s’agitent sur le sol anglais. Peut-être aussi formerions-nous le vœu qu’au lieu d’être groupées par ordre de matière sous des séries de numéros, ces dépêches fussent rangées simplement à leurs dates, par ordre chronologique. Elles valent bien la peine qu’on les laisse se suivre et s’enchaîner librement, naturellement. Ainsi entrecoupées, elles déroutent le lecteur, et c’est cependant pour être lues qu’elles sont placées là, ce n’est pas pour être feuilletées, car, nous le répétons, cette annexe