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reste vivant dans ce récit en dépit de sa clarté, aussi vivant que dans ces lettres où Mazarin, il y a deux siècles, cherchait à démêler cette histoire. C’est la même cohue, le même va-et-vient, le même roulis d’opinions, les mêmes aveuglemens, les mêmes cupidités. Ces personnages sont des hommes, et non pas des idées ; ils agissent, ils parlent, on les entend, on les voit ; rien n’est changé : seulement ce spectacle qui tout à l’heure était trouble et confus, maintenant il est en pleine lumière ; tout s’aperçoit, tout est distinct, tout s’explique et saisit l’esprit.

Mais cette clarté, cet art de grouper et de peindre, cette habileté de mise en scène, est-ce la toute l’histoire ? Ne faut-il pas que sous ces faits, si bien coordonnés, si bien exprimés qu’ils soient, vous sentiez comme un lien secret qui les unit et les enchaîne, un lien qui les rattache à vous ? Cette unité d’intérêt, l’âme de l’histoire aussi bien que du drame, ne nous fait pas défaut ici. Une pensée domine ces deux volumes, une pensée toujours présente. C’est la royauté, on le sent, on le devine, qui doit clore cette anarchie ; rien ne peut finir que par elle. Mais quand ? par quels moyens ? à quelles conditions ? C’est là qu’est le mystère et la péripétie.

Le dénoûment lui-même, M. Guizot se garde bien de l’oublier n’est pas d’abord aussi visible, aussi facile à prévoir qu’on peut se l’imaginer aujourd’hui. Sous peine d’anachronisme, il faut qu’au premier moment, au moment de la mort de Cromwell, l’historien laisse voir une certaine confiance en l’avenir du nouveau protecteur ; il faut qu’il place le lecteur dans cet état un peu crédule où nous voyons M. de Bordeaux, et où fut évidemment presque toute l’Angleterre pendant un certain temps : les mémoires contemporains l’attestent aussi bien que notre ambassadeur. Faut-il s’en étonner ? Ne devait-on pas croire qu’à la mort de l’homme extraordinaire qui tenait tout dans sa main éclateraient de grands orages, qu’après la compression de la tyrannie, après l’étouffement de tout sentiment libre viendraient d’ardentes explosions, de violentes représailles ? Et c’était au contraire une adhésion universelle qu’on voyait éclater ! Du moment qu’elle avait pu naître, comment ne pas admettre qu’elle pourrait durer, que l’ombre du grand protecteur, qui semblait gouverner encore, protégerait sa dynastie, et que tant de gens compromis dans sa cause ne seraient pas assez fous pour renverser son fils ?

C’eût été vrai, si l’instinct de conservation, qui d’abord leur avait inspiré cette concorde inattendue, avait pu durer plus d’un jour, si leurs passions, et de toutes les passions les moins traitables, celles qui s’appuient sur des principes, les passions politiques, n’avaient pas fait divorce avec leurs intérêts. Supposez qu’ils n’eussent eu ni