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n’eurent pas de peine à s’assurer l’influence qu’ils convoitaient. Ils trouvèrent bientôt d’ailleurs de doctes et ingénieux publicistes qui se chargèrent de donner une apparence scientifique à leurs prétentions grossières. Un Juif converti, très grand ennemi des Juifs, mais parfaitement en mesure d’introduire l’esprit judaïque au sein de l’église protestante, devint le théologien du parti ; j’ai nommé M. Stahl.

Parlerai-je de M. Stahl ? J’ai dit ce que veulent les hobereaux ; marquons rapidement l’attitude de leur plus ardent interprète, et tâchons d’expliquer comment un homme de cette valeur a pu accepter un pareil rôle. L’illustre chef du parti constitutionnel en Allemagne, l’historien Dahlmann, s’est écrié un jour dans un moment de dépit : Il n’est pas d’homme plus dangereux au monde qu’un jurisconsulte théologien… Cette sentence n’était qu’une boutade, mais on dirait que M. Stahl s’est chargé d’en démontrer l’exactitude. Jurisconsulte, il a faussé et perverti le sentiment religieux ; théologien, il a défiguré la science du droit. Sous prétexte d’organiser ce qu’il appelle l’état chrétien et germanique, il a imaginé une philosophie sociale où il ne reste des traditions allemandes et des inspirations chrétiennes que l’enveloppe extérieure ; allez au fond, c’est le judaïsme. Également hostile au catholicisme et à la philosophie, M. Stahl s’est emparé de la confession de Luther, et il en a fait une table d’airain où il a gravé l’inflexible loi des consciences. Pour soutenir ses doctrines, il lui a fallu bien des ressources d’esprit et de dialectique ; M. Stahl a un esprit très souple, une dialectique consommée, et une ambition qui vaut à elle seule sa dialectique et son esprit. Voyez-le dans sa chaire de professeur, voyez-le surtout à la tribune de la seconde chambre, avec ses yeux petits et perçans, avec son pâle visage encadré de cheveux noirs. Il se joue au milieu des subtilités et des sophismes avec une merveilleuse prestesse. Protestant, il attaque la liberté de conscience ; Israélite, il déclame contre l’émancipation des Juifs, sans être jamais embarrassé de son rôle. Quelle aisance ! comme il est maître de sa parole ! L’élévation même, une certaine élévation religieuse et morale, est un élément de succès qui ne lui manque pas. Au reste, on doit le reconnaître à sa louange, la dialectique de M. Stahl, avec ses subtilités et ses finesses, ne suffirait pas aux hobereaux ; il faut aux seigneurs poméraniens des champions qui disent les choses plus carrément. M. Stahl a des émules ou des disciples qui font très bien cette besogne-là. À la fin d’une excellente étude sur le comte Joseph de Maistre[1], M. Sainte-Beuve ajoute ces mots : « De Maistre me paraît de tous les écrivains

  1. Voyez la Revue du 15 juillet et 1er août 1843.