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fiancée furent énumérées avec détail, on n’omit de mentionner ni l’argent dont avait parlé la mère, ni les bijoux réservés à la petite ; mais la propriété desdits objets fut réservée à la promise. Celle-ci parut ne rien entendre à ces sortes de transactions. La mère déclara à plusieurs reprises qu’elle n’avait jamais pu faire entendre à sa fille ce que c’était que le droit de propriété ; elle persistait à considérer ce qui était à elle comme appartenant à son mari, et c’était précisément pour contrebalancer cette abnégation excessive que les parens avaient mis tant de soins à séparer les intérêts des conjoints. Ismaïl trouvait ces précautions superflues et déplacées, mais il n’osa pas exprimer trop ouvertement sa manière de voir à ce sujet, et il se consola en réfléchissant qu’une fois marié à l’héritière, il n’aurait plus affaire qu’à un enfant ne voyant que par ses yeux, ne jugeant que par ses lumières, et n’ayant d’autre volonté que la sienne.

II.

La famille du kadi avait remporté une victoire complète. Ismaïl était l’époux d’Anifé, et la chaîne qui l’unissait à sa femme attestait chez ceux qui l’avaient forgée une habileté supérieure. Qu’allait faire Maleka ? Quand elle reçut la nouvelle du mariage d’Ismaïl, elle n’eut qu’une pensée, — reprendre son empire sur le bey d’abord, puis et surtout se venger de Fatma et de sa fille. Son plan de campagne fut bientôt tracé.

Peu de jours après son mariage avec Anifé, Ismaïl reçut une lettre de Maleka. Une déclaration de rupture, motivée par ce second mariage, conclu malgré sa résolution bien connue de ne souffrir aucun partage des droits d’épouse, — un avis relatif aux démarches commencées en faveur du bey, qu’elle avait habilement conduites, mais qui ne pouvaient réussir qu’à la condition d’être bien continuées, — tels étaient les deux points essentiels de la lettre, qui produisit un grand effet sur l’esprit du faible Ismaïl. La réponse du bey fut conçue dans les termes les plus caressans : la promesse d’épouser Anifé lui avait été arrachée par les poursuites de ses créanciers ; il souffrait de vivre en quelque sorte sous la dépendance d’une enfant, lui qui était habitué à placer sa confiance dans une femme intelligente et dans une amie sûre. Quant à ses affaires de Constantinople, il préférait s’en rapporter aveuglément à la générosité de Maleka, et il ne perdait pas l’espoir de rentrer, grâce à sa bienveillante intercession, dans la plus complète indépendance.

Maleka ne répondit pas ; connaissant les dispositions d’Ismaïl, elle n’avait plus à parler, elle voulut agir. Un ami, sur lequel la femme délaissée du bey exerçait une grande influence, partit presque aussitôt de Constantinople pour Kadi-Keui, avec la mission de se procu-