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fixe et brillante sur laquelle les hommes puissent à chaque instant lever les yeux pour réchauffer leur foi et ranimer leur cou rage. Néanmoins cet idéal existe, et on le sent qui, sans forme nette et distincte, passe comme un souffle rafraîchissant ou frémit comme une virile inquiétude dans les pages des écrivains de l’Amérique. Composé d’espérance et de foi, de naïveté confiante et de courageuse expérience, il fait penser à la fois aux fraîcheurs des prairies primitives et à la robuste énergie des colons qui les traversent ; il exprime parfois admirablement l’état de l’Amérique, — une société jeune formée d’hommes d’un esprit mûr. Foi religieuse et rationalisme porté dans la religion, radicalisme unitaire et attachement sincère et fervent à l’esprit chrétien, confiance dans un avenir puissant pour l’Amérique et dans une heureuse destinée pour l’espèce humaine, tous ces élans et toutes ces espérances souvent contradictoires se rencontrent chez les écrivains supérieurs de l’Amérique. Le contraste est frappant quand on passe de la lecture d’un Channing ou d’un Théodore Parker à quelque écrivain secondaire. Les mêmes contradictions n’existent plus, l’auteur n’exprime plus que l’une ou l’autre de ces espérances ; dès lors l’idéal de l’Amérique s’évanouit, et la réalité de son état moral apparaît immédiatement. Tantôt par exemple l’écrivain est animé d’un souffle religieux assez ardent, mais il n’exprime que des idées de secte, et quelquefois, hélas ! des préjugés ; il manque de compréhension, il nous offre plutôt des sentimens presbytériens ou méthodistes que des sentimens chrétiens. C’est bien là le christianisme propre à l’Amérique, disons-nous après avoir fermé le livre ; mais ce n’est pas le christianisme que cherche l’Amérique. D’autres fois l’écrivain, plus patriote que philosophe, exprime plutôt des vœux en faveur de l’avenir de l’Amérique que des vœux en faveur de l’avenir de l’humanité, et alors ce sentiment national se rétrécit ; il devient un sentiment égoïste, dur, despotique. Oui, c’est bien là, disons-nous encore, l’orgueil et l’ambition de l’Amérique ; c’est bien son but politique, américain, mais ce n’est pas son but moral et humain. À chaque groupe d’écrivains son rôle par conséquent : — aux uns l’expression des plus hautes tendances de leur pays, de ses vœux les plus désintéressés, de son esprit en un mot ; — aux autres l’expression de ses tendances immédiates, actuelles, de ses vœux intéressés, de sa situation morale présente.

Si donc vous voulez connaître l’état religieux de l’Amérique, fiez-vous moins au docteur Channing et à Théodore Parker qu’à tel ou tel livre secondaire de théologie, ou à tel roman de sectaire. Les idées des premiers sont des désirs et des espérances ; mais ouvrez les romans plus ou moins célèbres des dernières années, ceux de Mmee Stowe, de miss Warner (mistress Wetherell), de miss Cumming.