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Là vous trouverez l’esprit religieux américain au point où il est arrivé aujourd’hui : vieil esprit biblique et habitude des livres saints, qui teignent de leurs couleurs la vie et les actions de l’homme ; formalisme de sectaire, dogmatisme puritain, n’ayant retenu de sa tradition qu’une gravité austère, et de son intolérance qu’une sorte de compression domestique ; piété sans sourires, résignation froide et un peu hautaine, charité, raisonnée et sans effusion. Si vous cherchez dans la poésie l’expression des instincts américains, ne vous adressez pas à Longfellow, qui vous fera entendre les échos des forêts primitives, et vous donnera, sous le nom de Psaume de la Vie, l’expression d’un go ahead idéal, plus noble que le go ahead actuel de l’Amérique, mais moins réel ; adressez-vous à M. Lowell ou à M. Whittier, deux poètes très réalistes qui vous raconteront les misères de l’esclavage, le tumulte démocratique, l’activité affairée des citoyens, les clameurs de Faneuil-Hall ou de Tammany-Hall. Enfin, si vous voulez contempler l’esprit très varié, très bigarré de cette société, examiner ses masques et ses physionomies, vous donner le spectacle de ses vices et de ses vertus, n’ouvrez pas les contes et les romans de M. Hawthorne, analyste subtil, psychologue ingénieux, qui raffine sur la réalité, et choisit avec son talent d’artiste parmi les matériaux que lui offre l’observation. Lisez plutôt les œuvres de M. Cornélius Mathews, où abondent les scènes de la vie politique, de la rue, de la taverne et du bateau à vapeur ; lisez, si vous pouvez, les romans de M. Sylvanus Cobb, mauvais écrivain, mais romancier populaire ; lisez enfin les romans de Mme Fanny Fern, où sont vivement, énergiquement même parfois, accusés les côtés les moins délicats et les plus grossiers de la société des États-Unis, et qui contiennent la peinture la plus brutale que je connaisse de l’égoïsme propre aux races mercantiles, aux classes de condition inférieure et d’éducation incomplète.

Ce ne sont pas seulement certains détails de mœurs que nous révèlent ces romans, ce sont aussi, sous plus d’un rapport, les dispositions intellectuelles, la tournure d’esprit du peuple américain. Ainsi le caractère principal de ces romans, comme d’ailleurs de presque toutes les inventions américaines, c’est de n’avoir rien de romanesque. Vainement ils font appel aux sentimens les plus excessifs, vainement ils remuent toutes les machines mélodramatiques, vainement ils mettent en scène des héroïnes mélancoliques, malheureuses et persécutées : ils ne parviennent pas à atteindre le moins du monde à ce que, faute d’un autre mot, nous appellerons l’attrait du faux, — ce qui est le charme principal du romanesque. Tous ceux qui ont lu Claire d’Albe et Amélie Mansfield par exemple, ou même des livres d’un ordre supérieur et inférieur à ces derniers, les gracieux