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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/196

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famille, les romanciers américains sont gauches et maladroits lors qu’ils essaient d’exprimer d’autres passions. Leurs personnages sont condamnés à être vrais et simples, et si par malheur ils ont une autre prétention, quelque défaut de tact et de mesure se charge bien vite de dénoncer le héros qui s’est échappé de la vie ordinaire, de la réalité, pour se faufiler dans les domaines interdits du mensonge aimable. Cet empire de la réalité sur l’imagination américaine, cette impuissance d’échapper à la vie ordinaire, à la vie de ménage et de comptoir, même dans la fiction, accusent une situation toute particulière, une complète égalité, des nuances sociales peu tranchées, des mœurs laborieuses et encore pures, et indiquent une société très démocratique, très plébéienne, qui n’a pas encore réussi à donner du charme à ce qui ne devrait jamais en avoir, si les lois morales étaient pratiquées. Ce que nous appelons le monde n’y apparaît pas encore sous une forme originale et avec une corruption sui generis, et quoi que la société américaine fasse grand fracas de ce qu’elle appelle la vie fashionable, tout son essor d’imagination se borne à des mobiliers somptueux, à des courses en voitures, à des promenades aux petites villes à la mode, à des routs, genre de réunion qui rappelle les habitudes du meeting et de la place publique, et qui éloigne autant que possible l’idée de plaisir, de société élégante et romanesque. Ce n’est donc pas ce charme qui provient à demi des dérèglemens de l’imagination qu’il faut demander aux romans américains, et si nous nous sommes longuement étendu sur ce sujet, c’est qu’il est très caractéristique de l’état moral de l’Amérique.

Ce n’est certes pas la bonne volonté cependant qui fait défaut à ses romanciers : ils accumulent les incidens, les surprises, les catastrophes, et ils ne réussissent pas à émouvoir. Ce dandy, que l’auteur nous présente comme un type de séduction, laisse percer sans y prendre garde le fils du marchand ; nous savons que ce somptueux propriétaire est un fermier qui a prospéré ; ce couple élégant qui fait les délices de Saratoga ou de Niagara, ce sont deux riches tapissiers dont on pourrait donner l’adresse. Tous ces personnages vivent ou ont vécu de leur travail, et si par malheur ils poussaient trop loin leurs prétentions, ils courraient risque de devenir des caricatures. C’est ce qui arrive aux personnages de Mlle Fanny Fern. Voici deux femmes qui cherchent à être à la mode dans telle petite ville de l’Union, mistress Howe et mistress Flynn si vous voulez, et qui déchirent leur prochain à belles dents. Toutes deux n’ont pas de cœur, mais elles n’ont pas l’esprit qu’il faut pour acquérir le droit de n’avoir pas de cœur : esprit très difficile à former et très rare. Mistress Howe est très riche, mais ses voisins se rappellent encore la boutique de lingère, alors qu’elle s’appelait miss Dolly, et qu’elle