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n’était pas devenue l’épouse d’un marchand de chaussures dont elle a conquis le cœur. Quant à mistress Flynn, malgré ses dentelles, ses fourrures et ses mouchoirs aux broderies extravagantes, sa richesse est d’origine toute récente et très vulgaire ; tel de ses cousins est domestique, tel autre est colporteur. Partout se sentent les tâtonnemens d’une société en train de se former, ainsi que les vulgarités d’une vie laborieuse et plébéienne. L’auteur décrit de la manière la plus romanesque un couple de beaux vieillards, et lorsqu’il vous fait part du motif de leur bonheur, vous tombez sur une histoire, peu séduisante d’ivrogne converti par les soins vigilans de sa femme. Plus loin, il raconte l’histoire d’une femme persécutée par son mari, vieux thème de tant de récits larmoyans, et qui a fait mouiller tant de mouchoirs ; mais ce mari est en vérité un triste persécuteur : il fouille les poches, ouvre les tiroirs, décacheté les lettres, rit lorsque sa femme s’écorche le pied ou se coupe le doigt, et il lui tend des pièges que le plus mal élevé des Iagos de mélodrame rougirait d’employer. Oh ! que les Américains sont plus sympathiques, lorsqu’au lieu de se présenter sous ces formes factices et déplaisantes, lorsqu’au lieu d’être des contrefaçons maladroites de la vie mondaine, ils se présentent tels qu’ils sont, franchement plébéiens, fermiers et marchands, et que la tête haute ils parlent leur langage biblique et examinent leurs livres de comptes, assis dans un intérieur comfortable, tout brillant d’ordre et de belle tenue !

La réalité que décrit Mme Fern est infiniment plus intéressante que ses tentatives d’invention. Elle n’a, dirait-on, observé qu’un seul côté de la société américaine ; mais celui-là, elle le décrit avec une colère toute particulière. Les égoïstes, voilà ses héros, des égoïstes d’un ordre particulier, méticuleux, grippe-sous, hargneux, méchans par sottise et absence d’éducation. L’égoïsme qu’elle met en scène, c’est l’égoïsme propre aux petits parvenus, aux gens qui sont placés sur la limite de deux conditions, qui hier vivaient de leur travail, qui ne sont plus des pauvres, qui ne sont pas encore des riches, ou qui ne savent pas l’être. Ils sont trop près de la pauvreté pour ne pas la redouter, et ils se livrent à des excès de lésinerie repoussante ; ils comptent les croûtes de pain qui auraient pu être épargnées, mettent sous clé une allumette, et hochent la tête en signe de mauvais présage, lorsque la bru achète un nouvel objet de toilette, ou que le gendre se passe une fantaisie de luxe innocent. D’un autre côté, leur richesse est trop récente pour qu’ils ne la savourent pas jusqu’à la lie, si l’on peut ainsi parler ; enfans, parens, amis, ils écartent avec soin tout ce qui pourrait troubler leur repos. Cette classe, naturellement très nombreuse en Amérique comme dans toute société en voie de formation, a cependant, toute repoussante