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salle de spectacle de Bolton ; elles s’établirent dans celles de Drury-Lane et de Covent-Garden, à Londres ; le théâtre fut arrangé en salon ; une petite estrade y fut dressée pour les orateurs ; une foule nombreuse de tout rang, de tout état, de tout sexe, remplissait le parterre, les loges, les galeries, et les économistes les plus distingués venaient là périodiquement attaquer le régime protecteur et réclamer la liberté commerciale au nom des principes et des intérêts, de la science et de la charité. Nous avons quelque peine à concevoir et nous ne supporterions pas en France le degré de violence auquel s’emportaient quelquefois les orateurs. Dans l’état de notre société et de nos mœurs, les points d’arrêt sont trop rares et les moyens de résistance conservatrice trop faibles pour que parmi nous de telles attaques contre l’ordre établi et les lois en vigueur se puissent déployer sans péril. Nous l’avons trop oublié dans nos élans vers la liberté ; nous voulons le torrent et nous détestons les digues, ce qui a cette conséquence déplorable que, lorsque l’inondation et ses ravages éclatent, nous n’y savons d’autre remède que de tarir les sources mêmes, sauf à languir et à dépérir ensuite de sécheresse et de soif. La chaire chrétienne elle-même ne se permettrait pas aujourd’hui, dans nos églises et au nom de la charité envers les pauvres, les tableaux que les apôtres de la liberté commerciale présentaient, dans Covent-Garden, au public anglais. « Voulez-vous, disait là un jour M. W.-J. Fox, qui entra bientôt dans la chambre des communes, voulez-vous mettre en lumière les plus pernicieux, les plus mortels effets de la loi sur les grains ? Cela pourrait se faire dans cette salle, mais non pas en y réunissant l’auditoire que j’y vois aujourd’hui. Allez dans les impasses, les ruelles, les cours obscures, les greniers et les caves de cette métropole ; réunissez leurs misérables et affamés habitans ; amenez-les ici, dans ces loges, dans ce parterre, dans ces galeries, avec leur chétive apparence, leurs joues creuses et pâles, leurs regards inquiets, peut-être des passions amères et sombres perçant sous leurs traits : vous aurez là un spectacle qui troublerait le cœur le plus ferme et amollirait le plus dur, un spectacle devant lequel je voudrais amener ici le premier ministre, et je lui dirais : « Voyez, délégué de la majesté royale, chef des législateurs, conservateur des institutions, regardez cette masse de misères ; voilà ce que vos lois et votre pouvoir, s’ils ne l’ont pas créé, n’ont pas su prévenir, ni guérir, ni adoucir ! » Je sais ce qu’on nous répondrait, si cette scène pouvait se réaliser ; on nous dirait : « Il y a toujours eu des pauvres en ce monde ; il y a beaucoup de maux que les lois ne créent pas et ne peuvent guérir ; quoi qu’on fasse, la misère existera toujours ; c’est la mystérieuse dispensation de la Providence. » Je dirais à mon tour au premier ministre :