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« Hypocrite ! ne vous servez pas de cet argument ; vous n’en avez pas encore le droit. Délivrez l’industrie de toute entrave, retirez de la coupe de la pauvreté le dernier grain du poison du monopole ; accordez au travail tous ses droits, ouvrez à un peuple industrieux tous les marchés du monde : si après tout cela il y a encore de la pauvreté, vous aurez acquis le droit, peu digne d’envie, de blasphémer contre la Providence. »

Quand une idée s’est ainsi transformée en passion et en vertu, quand la part de vérité qu’elle contient efface et fait disparaître à ce point les objections qu’elle suscite et les autres vérités qui la limitent, on ne délibère plus, on ne discute plus ; on ne veut plus qu’agir ; on marche, on se précipite. La ligue fit les plus rapides progrès ; dans la plupart des comtés et des villes, en Écosse comme en Angleterre, des meetings se réunirent, des déclarations de principes furent publiées, d’abondantes souscriptions recueillies en sa faveur. Un siège vint à vaquer dans la chambre des communes parmi les représentans de la Cité ; M. James Pattison, porté au nom de la liberté commerciale, fut élu contre M. Th. Baring, candidat conservateur. Le plus considérable des banquiers de Londres, M. Samuel Jones Lloyd, se prononça pour les novateurs. Le Times, qui jusque-là avait fait peu de cas du mouvement, changea d’allure et déclara solennellement : « La ligue est un grand fait. » Le fonds de 50,000 livres sterl., produit de la première souscription, était épuisé ; on résolut de former un nouveau fonds de 100,000 livres sterl. (2,500,000 fr.), et dans le premier meeting tenu à Manchester, les souscriptions s’élevèrent immédiatement à 13,700 livres sterl, (342,500 fr.) Enfin une accession nouvelle et peu attendue apporta à la ligue un grand accroissement de crédit ; on tint dans les campagnes, notamment dans le comté de Dorset, des meetings de laboureurs, ces favoris de la protection, et ils y racontèrent leur propre détresse, presque égale à celle des ouvriers dans les manufactures : « Je suis protégé, s’écria, dit-on, un paysan, et je meurs de faim ! »

Peel suivait d’un œil à la fois bienveillant et inquiet ce grand mouvement ; ami des principes que soutenait la ligue, il était choqué de l’excès de ses paroles comme de l’impatience de ses prétentions, et plus préoccupé des embarras prochains qu’il en prévoyait que de la force qu’un jour peut-être il en pourrait tirer. La détresse publique, qui ne cessait point, le désolait ; il persistait à penser, comme il l’avait dit en prenant le pouvoir, que la loi des grains n’en était pas la seule, ni même la principale cause. Ni la nouvelle loi qu’il avait fait rendre à ce sujet, ni ses mesures pour l’abaissement des tarifs n’amenaient encore de grands et évidens résultats. Le revenu public était en souffrance ; l’atteinte déjà portée au système protecteur