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de Napoléon qui donne la clé d’un grand nombre de ses actes : en conservant ce que la révolution avait pu produire de nouveautés utiles, il n’entendait pas, disait-il, renoncer aux institutions qu’elle avait eu le tort de détruire. De nos jours, rien ne paraît plus simple et moins sujet à contestation ; à cette époque, c’était une parole hardie. Le public certes était las des excès de la révolution ; mais jusqu’à ce jour l’opinion restait acquise, dans le monde officiel du moins, que dans cet ancien régime, où le tiers-état avait tant souffert, tout absolument était mauvais. Il avait suffi, pendant la période des gouvernemens révolutionnaires, qu’un usage eût subsisté sous l’ancien régime pour qu’il fût condamné par cela seul, et c’est ainsi qu’on avait été conduit à tenter la métamorphose, non pas seulement du mode de gouverner et d’administrer, mais encore de toutes les institutions publiques, de tous les arrangemens sociaux, jusqu’au calendrier. Le gouvernement du premier consul devait nécessairement avoir d’autres allures, et, à la condition qu’on n’en abusât pas, il n’y avait qu’à y applaudir ; c’était la seule manière de donner à la société une assiette stable, la seule ligne de conduite qui pût mener à la pacification de la France et à la paix avec l’Europe.

Enfin il est dans notre sujet de signaler dans cet entretien l’attitude que prit M. Mollien. Il s’y montre tel qu’il fut constamment envers le grand homme dont il était appelé à servir le gouvernement. Il se fait auprès de lui l’organe des pensées qu’enseigne une économie politique avancée. Il lui signale, sous la forme qui convient à l’objet en discussion, ce qu’a de respectable l’initiative individuelle, ce qu’elle a de fécond pour l’intérêt public. Il lui rappelle combien il importe à un gouvernement d’être en garde contre la tentation de chercher dans des coups d’autorité le remède à des abus qui se corrigent par le fait de la liberté même. Napoléon attribuait à l’abus des idées générales, et au penchant à en tirer des déductions sans s’éclairer de l’expérience, la plupart des maux dont le pays avait été accablé de 1789 à 1800, et c’est pour ce motif que, ne se bornant pas à repousser les généralités, il se plaisait à les tourner en ridicule sous le nom d’idéologie ; mais il se rendait volontiers aux faits, et le moyen de lui faire agréer les principes généraux était de les lui présenter sous la forme expérimentale, assez complètement enveloppés pour que leur caractère de généralité ne fût pas transparent. C’est l’expédient qu’employa M. Mollien dans la circonstance que nous venons d’exposer, et qui lui réussit, comme on va le voir.

M. Mollien avait été retenu à dîner ; pendant le repas, il eut la satisfaction d’entendre le premier consul s’approprier les idées qu’il venait de lui exprimer et développer des maximes telles que celle-ci : qu’il ne fallait pas avoir la prétention de défendre ce qu’on n’avait