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d’entre eux, exploitaient cet abus pour leur compte, ou en tiraient profit en se chargeant de présenter à la Banque, moyennant une commission, ces traites collusoires. M. Mollien s’éleva justement contre cette pratique contraire à la morale, incompatible avec la sécurité de la Banque, car il n’y a de solides effets de commerce que ceux derrière lesquels il existe réellement une opération commerciale. Un autre article des statuts plus patemment mauvais encore était celui qui interdisait l’escompte des effets de commerce n’ayant pas plus de quinze jours à courir. C’était une absurdité : des effets aussi voisins de l’échéance étaient ceux qui devaient le plus convenir à la Banque, puisque le recouvrement en était plus prompt et plus certain. M. Mollien critiquait pareillement l’opération par laquelle le trésor, épuisé qu’il était en l’an VIII, s’était fait le bailleur de fonds de la Banque, en souscrivant des actions pour 5 millions ; on lui avait en outre donné un hôtel pour s’établir, comme si l’état n’eût pas déjà assez fait pour elle en lui conférant gratis le privilège fructueux d’émettre des billets au porteur ! Et pourtant, dans l’ardeur de sa sollicitude pour la Banque, le premier consul ne s’était pas borné à tant de faveurs et de largesses. Pour en assurer surabondamment le succès, il avait recommandé aux membres de sa famille, à ses aides-de-camps et à ceux des hauts fonctionnaires qui avaient quelque fortune ou quelques avances, de s’inscrire parmi les actionnaires, et il leur en avait donné l’exemple[1]. M. Mollien critiquait aussi la coexistence de trois institutions investies du droit d’émettre des billets et usant de ce droit. Il pensait qu’une monnaie artificielle et de convention comme les billets de banque, pour offrir plus de garantie, devait sortir d’une seule et même fabrique. Sur tous ces points, M. Mollien finit par convertir Napoléon ; mais il y fallut quelques années, durant lesquelles il lui remit diverses notes, dont quelques-unes sont consignées dans ses Mémoires, et dont la réunion complète formerait un petit traité fort remarquable sur la matière[2]. En l’an XI, le 24 germinal (14 avril 1803), une loi réorganisa la Banque d’une façon plus conforme aux principes, en consacrant toutes les améliorations recommandées par M. Mollien. Il n’y eut plus de privilège à l’escompte en faveur des actionnaires. Il fut expressément interdit que le papier de circulation

  1. La liste des plus forts actionnaires, qui est annexée au rapport de l’administration de la Banque du 25 vendémiaire an IX, comprend le premier consul, les deux autres consuls Cambacérès et Lebrun, Lucien Bonaparte, Mlle Hortense Beauharnais, Duroc, le préfet de police Dubois, le ministre des finances Gaudin, le directeur du trésor, qui allait être nommé ministre du trésor, Barbé-Marbois, plusieurs sénateurs et conseillers d’état, etc.
  2. La dernière de ces notes a été retrouvée à la Banque et publiée, depuis l’impression des Mémoires d’un Ministre du trésor, dans le Journal des Economistes, t. XXXIV, p. 349.