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rendrait l’enfant bien volontiers à sa famille, le jeune homme l’avait quittée en lui promettant de la revoir et en emportant le mouchoir de mousseline, qui devait, disait-il, l’aider dans ses recherches.

Un moment de silence suivit le récit d’Osman. L’émotion d’Anifé était profonde. Dans le carré de mousseline verte qu’Osman venait de jeter sur ses genoux, Anifé avait reconnu le mouchoir dont elle s’était servie pour essuyer son front baigné de sueur froide pendant les longues douleurs de l’enfantement. Grande était sa joie, grande aussi sa reconnaissance pour le jeune homme qui s’était livré à de si patientes recherches pour retrouver son enfant. Deux pensées se succédèrent bientôt dans l’esprit de la pauvre mère, — partir sur-le-champ, accompagnée d’Osman, chercher son enfant, le ramener à Saframbolo, — puis consulter le kadi. C’est à cette dernière pensée que s’arrêta Anifé, toujours en garde contre ses premiers mouvemens.

Le kadi, appelé par Osman, ne se fit pas attendre. On le mit au fait de la grande découverte, puis Anifé lui raconta son entretien avec Selim et l’espoir que cet entretien lui avait donné. Le kadi réfléchit un moment, et prononça qu’il fallait attendre le résultat de la démarche tentée par Selim. — Il ne s’agit pas seulement, dit-il, de retrouver notre enfant, il importe aussi de bien établir son identité, et d’empêcher qu’un jour Maleka ne lui conteste ses droits à l’héritage de ses parens. Supposons que nous allions dès aujourd’hui nous emparer du petit, que nous le ramenions à la maison, que nous le déclarions à nous : qui nous croira ? quelles preuves donnerons-nous que c’est bien là notre enfant ? Le bruit de sa mort est désormais accrédité parmi toutes nos connaissances : comment prouverons-nous que ce bruit est dénué de tout fondement ? Maleka ne manquera pas de soutenir que nous avons voulu donner le change à la douleur de sa mère ; peut-être même ira-t-elle jusqu’à prétendre que nous supposons l’existence d’un héritier d’Ismaïl pour nous assurer les biens qui, après la mort du bey, retourneraient, faute d’un fils, à sa première femme. Ceux qui nous ont enlevé notre enfant, dit en terminant le kadi, ceux-là seuls peuvent nous le rendre, et puisque nous avons l’espoir de l’obtenir de leurs propres mains, ce serait compromettre notre avenir et le sien que d’agir avec précipitation. »

Ces conseils étaient des plus sages, mais ils ne calmaient pas l’inquiétude d’Anifé. — Et si pendant ces jours d’attente on allait sacrifier mon enfant !… s’écria-t-elle. Osman intervint alors. — Je vais retourner de ce pas auprès de la nourrice, dit-il, et si mon oncle le juge bon, je prendrai avec moi un ou deux serviteurs qui pourront me prêter main-forte au besoin. Mon oncle me munira en même temps de tous les pouvoirs nécessaires pour arrêter qui bon me