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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/32

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Anglais, whigs ou tories, de l’inconcevable légèreté des promesses. Dans le premier de ces débats, il s’agissait d’un bill proposé par lord Eliott, principal secrétaire d’Irlande, pour établir quelques mesures de police, la plupart depuis longtemps déjà usitées, sur la possession des armes à feu dans ce pays, désolé par les violences et les assassinats. Lord Cléments, député du comté de Leitrim, dans le Connaught, prit le premier la parole : « Ce bill est diabolique… Que dirait le noble lord qui le propose si je proposais pour l’Angleterre une mesure semblable ? Nous sommes mécontens en Irlande, très mécontens. Il nous faut la législation anglaise ; il faut que cette chambre nous la donne. Si nous ne devons pas l’obtenir, plus tôt nous le saurons en Irlande, mieux cela vaudra… Ce que nous demandons, nous le disons nettement, hardiment : nous demandons que vous gouverniez en Irlande comme en Angleterre, ni plus ni moins. Donnez-nous cela ; sinon nous demeurerons mécontens, très mécontens, et en perpétuelle agitation. » Deux mois plus tard, un homme éminent, le plus éloquent des représentans de l’Irlande après O’Connell, M. Sheil, avec plus de mesure, tenait sur le même sujet le même langage : « Le peuple irlandais, disait-il, se demandera pourquoi les législatures des deux pays doivent être unies, si les législations sont différentes, et comment il se peut que de fortes majorités adoptent pour l’Irlande un bill que, pour l’Angleterre, au milieu des circonstances les plus extrêmes, aucun ministre n’oserait proposer. » L’année suivante, O’Connell lui-même exprimait la même idée d’une façon encore plus explicite et plus absolue : « L’union, disait-il, devait être l’identification des deux îles ; il ne devait y avoir dans l’une point de droits, point de privilèges qui ne devinssent communs à l’autre ; la franchise électorale devait être la même, l’organisation des corpo rations municipales la même, tous les droits civiques les mêmes. Le comté de Cork ne devait pas plus différer de celui de Kent que l’Yorkshire ne diffère du Lancashire. Voilà ce que devait être l’union, voilà ce que se proposait M. Pitt. » C’était la en effet l’idée qu’en avait conçue le peuple irlandais ; la complète et prompte jouissance des droits, des lois, des libertés, de la prospérité de l’Angleterre, telle était, à ses yeux, la conséquence nécessaire de l’union des deux royaumes ; on l’irritait quand on la lui faisait attendre ; on l’avait trompé s’il ne la possédait pas.

Il n’y a, en politique, point de plus grande faute, et en morale politique point de tort plus grave, que d’exalter sans mesure les espérances déjà si promptes des peuples, et d’ouvrir devant leur imagination, comme leur prochaine conquête, des perspectives dont ils n’atteindront peut-être jamais le terme, et dans lesquelles, en tout cas, ils ne marcheront qu’à pas lents. Ce fut là, à commencer par