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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/33

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M. Pitt, la faute, le tort, l’erreur de tous les cabinets anglais envers l’Irlande. Je dis l’erreur, car il y avait dans leur pensée et dans leur conduite une large part de sincérité. Les troubles de l’Irlande devenaient pour eux un sérieux péril ; ses misères pesaient sur eux comme un remords. Animés d’un ardent désir d’y mettre un terme, ils partageaient les illusions qu’ils se plaisaient à répandre. Ils se trompaient eux-mêmes, comme ils trompaient les Irlandais, sur la valeur de leurs mesures et l’efficacité de leurs promesses. On n’abolit pas en un jour des siècles d’iniquité et de tyrannie ; on ne régénère pas un peuple par quelques lois. Plus l’Angleterre prodiguait à l’Irlande les espérances, plus l’Irlande s’irritait de ses mécomptes. Accusés tour à tour de l’avoir abusée et tour à tour contraints de la réprimer, les tories et les whigs étaient tour à tour l’objet de ses colères. O’Connell avait naguère appelé les whigs vils, brutaux et sanguinaires ; il avait attaqué lord Grey comme sir Robert Peel, et les meetings qu’il convoquait pour réclamer le rappel de l’union avaient commencé sous le ministère de lord Melbourne.

Frappé de sa propre impuissance comme de celle de ses prédécesseurs, Peel s’en exprimait avec une tristesse profonde. « L’honorable membre, disait-il en répondant à M. Sheil, se montre surpris du calme et de l’apathie avec lesquels je vois, assure-t-il, l’état actuel de l’Irlande. Je puis l’assurer que je vois l’état actuel de l’Irlande avec la douleur et l’anxiété la plus amère. J’ai fait tout ce que je pouvais. J’avais espéré une atténuation graduelle des difficultés et des animosités suscitées par les sentimens religieux. J’avais espéré un rapprochement progressif entre les protestans du nord et les catholiques du midi de l’Irlande. J’avais cru voir, dans les rapports des honorables membres de cette chambre entre eux et dans leurs bons sentimens mutuels, un meilleur étal ; des esprits et l’influence de ces lois qui ont relevé les catholiques de toute incapacité politique, et les ont mis avec nous sur le pied d’une parfaite égalité. Notre commerce avec l’Irlande allait croissant… J’espérais que le rétablissement de la tranquillité attirerait dans ce pays des capitaux qui s’emploieraient en entreprises utiles pour sa prospérité L’agitation si déplorablement ranimée en Irlande a déçu toutes mes espérances. »

Le mal devint bientôt plus grave que des espérances déçues. L’agitation prépara ouvertement la sédition. De telles masses de population accoururent aux meetings convoqués pour réclamer le rappel de l’union, qu’on les appela des meetings-monstres, prenant plaisir à étaler leur force, et se flattant que le cabinet en serait intimidé. Le 15 août 1843, cinq cent mille hommes, dit-on, se réunirent à Tara, lieu jadis célèbre, où se faisait, avant l’invasion anglaise,