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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/38

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le fond des choses, ils étaient sûrs de n’avoir point à défendre, l’un son autorité, l’autre son indépendance ; ils marchaient loyalement ensemble dans la même voie, chacun à son rang et avec sa mission. Sir Robert Peel n’avait pour aucune alliance, pour aucune amitié particulière sur le continent, une préférence marquée : il mettait un grand prix aux bons rapports avec la France, avec le roi Louis-Philippe et son gouvernement, et ne négligeait aucune occasion d’ex primer les sentimens, de tenir le langage propres à assurer cette situation ; mais il attachait aux bons rapports, avec l’Allemagne ou avec la Russie la même importance, et s’empressait également de le témoigner. Lord Aberdeen, tout en se maintenant dans les meilleurs termes avec toutes les puissances, avait surtout à cœur d’établir entre l’Angleterre et la France une intime entente, profondément convaincu que les deux peuples qui pourraient se faire le plus de mal sont aussi les plus intéressés à bien vivre ensemble, et que les grands intérêts humains, aussi bien que leurs intérêts nationaux, sont engagés dans leur pacifique accord.

Le cabinet conservateur, en arrivant aux affaires, trouvait la situation extérieure chargée de complications graves : en Asie, la guerre avec la Chine et dans l’Afghanistan ; — avec les États-Unis d’Amérique, trois controverses anciennes et récemment ravivées : au nord la délimitation des frontières, à l’ouest la possession de l’Orégon, sur les mers la répression de la traite ; — en Europe, la France depuis plus d’un an en état d’irritation contre l’Angleterre, et venant à peine de reprendre sa place dans le concert européen. Aux extrémités du monde, sir Robert Peel et lord Aberdeen avaient, par la guerre ou les négociations, de grandes et difficiles questions à résoudre, avec leur plus proche voisin la bienveillance et la confiance à rétablir.

Je doute que deux gouvernemens se soient jamais rencontrés plus sympathiques que ne l’étaient alors les cabinets de Londres et de Paris, soit dans leurs vues de politique générale, soit dans leurs dispositions mutuelles, et qui aient eu à subir, dans cette harmonie, de plus fréquentes et plus délicates épreuves. Comme sir Robert Peel et lord Aberdeen, le roi Louis-Philippe et son cabinet, en 1841, voulaient sincèrement et sérieusement la paix et la justice dans les relations des états. J’ai vécu sous l’éclat des plus grands spectacles de force et de guerre auxquels ait assisté le monde, j’en ai ressenti, autant que nul autre spectateur, le patriotique et orgueilleux plaisir ; mais au milieu de nos triomphes et de l’enivrement national le sacrifice de tant de vies, les douleurs de tant de familles, l’épuisement de la France, la perturbation continue de l’Europe, les droits des princes et les droits des peuples, traités avec un égal dédain, la victoire ne