Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

servant qu’à étendre de plus en plus la guerre, point de stabilité au sein d’un ordre sans liberté, cet interminable enchaînement de violences et de chances terribles me choquaient profondément. La France veut et mérite autre chose que d’être l’enjeu d’un grand homme adonné sans relâche à tenter les grands coups du sort. On peut le dire encore aujourd’hui, malgré la lutte redoutable qui a interrompu un moment cette heureuse fortune de l’Europe : nous jouissons depuis plus de quarante ans des bienfaits de la paix ; en voici un qui est trop peu remarqué. Deux révolutions ont éclaté chez nous dans ce laps de temps ; elles n’y ont point ramené l’étranger, qui y était venu deux fois en quinze mois contre l’empereur Napoléon Ier. Malgré ses alarmes, ni en 1830, ni même en 1848, l’Europe ne s’est sentie dans la nécessité de nous faire la guerre ; en 1815, peuples et rois n’avaient pas cru pouvoir vivre en sûreté à côté de Napoléon. Impossible avec lui, la politique pacifique et modérée est devenue après lui et demeure encore aujourd’hui, sous l’héritier de son nom et de son pouvoir, la politique européenne. Ce sera la gloire du roi Louis-Philippe d’avoir, au milieu d’une vive recrudescence révolutionnaire, hautement proclamé et constamment pratiqué cette politique. On en attribue tout le mérite à sa prudence et à un habile calcul d’intérêt personnel. On se trompe : quand on a fait la part, même large, de l’intérêt et de la prudence, on n’a pas tout expliqué ni tout dit. L’idée de la paix dans sa moralité et sa grandeur avait pénétré très avant dans l’esprit et dans le cœur du roi Louis-Philippe ; les iniquités et les souffrances que la guerre inflige aux hommes, souvent par des motifs si légers ou pour des combinaisons si vaines, révoltaient son humanité et son bon sens. Parmi les grandes espérances sociales, je ne veux pas dire les belles chimères, dont son époque et son éducation avaient bercé sa jeunesse, celle de la paix l’avait frappé plus que toute autre, et demeurait puissante sur son âme. C’était à ses yeux la vraie conquête de la civilisation, un devoir d’homme et de roi ; il mettait à remplir ce devoir son plaisir et son honneur, plus encore qu’il n’y voyait sa sûreté. Il se félicita de l’avènement du cabinet conservateur à Londres comme d’un gage non-seulement de la paix, mais d’une politique équitable et tranquille, seul gage à son tour de la vraie et solide paix.

Trois affaires, le droit de visite pour la répression de la traite, l’occupation de Taïti et la guerre du Maroc, ont troublé et failli compromettre gravement, de 1841 à 1846, nos rapports avec l’Angleterre. Je n’ai garde d’en reproduire ici le récit et la discussion ; je ne veux que caractériser l’esprit dans lequel les deux cabinets les ont traitées de concert et en ont étouffé le péril.